Chapitre 8

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Aussi surprenant que cela puisse paraître, la soirée est ma première bouffée d'oxygène depuis... une éternité. Après m'être familiarisée avec les différents accessoires et l'organisation des tables dans la salle, j'ai enchaîné les commandes, sans voir le temps passer. Et c'est bien tout ce qui compte, en ce moment. Que le temps s'écoule rapidement. Que mon esprit se vide. Ismaël est resté dans mon ombre, me couvrant d'une attention toute particulière durant mes échanges avec les clients. Avec certains, tout spécifiquement. L'Arcade Dimensionnelle, postée au fond de la salle, à l'exacte opposée de la scène et donc à la droite du bar, n'a pas arrêté de vrombir d'efforts, pour ramener des êtres venus de tous les horizons. Pour n'en avoir jamais vu de près, je dois bien avouer que la découvrir en activité a quelque chose de fascinant.

L'arc, ressemblant à un encadrement de porte, est taillé dans un bois foncé, presque noir. De ce que j'ai pu apercevoir, l'Archimage engagé pour une pareille création a su démontrer que magie et esthétisme pouvaient s'unir. Le long de l'Arcade, de multiples inscriptions viennent toutes à la fois l'animer et la décorer, dans un enchevêtrement d'écrits ancestraux. En activité, elle émet un bourdonnement discret, à peine perceptible avec la musique des divers spectacles s'enchaînant. N'étant pas habituée à côtoyer ce monstre des transports, le son demeure en arrière fond, me faisant presque regretter de ne pas être sourde. Pourtant, cela m'aurait fait manquer les chansons entraînantes, performées par le groupe sur scène. Malgré le nombre conséquent de commandes à préparer, j'ai eu le temps d'apprécier le passage des différents artistes venus se produire, devant une foule plus ou moins intéressée.

De toute la soirée, je n'ai aperçu aucun humain, me confortant dans l'idée que le Sanctuaire est un lieu grandement privilégié pour les Créatures. De toute manière, vu le prix des consommations, rares sont les gens de mon espèce à pouvoir se permettre de passer ici. Servir un whisky japonais de cinquante ans d'âge a manqué de me faire renverser le tout sur le comptoir. Pour un prix pareil, je sais combien de bouteilles, certainement moins bonnes, mais beaucoup moins chères, je pourrais obtenir au vendeur de spiritueux du coin.

Un serveur, que je soupçonne être un Démon Mineur, m'a regardé avec un tel dédain avant d'attraper la commande que le contenu du verre a bien failli se retrouver sur sa figure. Mais Ismaël m'a rappelé à l'ordre, sans même hausser le ton. Et je me suis inclinée, n'ayant forcément pas d'autres alternatives. J'en suis donc là, à enchaîner les préparations, lorsque l'ambiance se réchauffe graduellement à l'arrivée de Nymphes à peine vêtues. Des sifflements sonores résonnent dans la salle, accompagnés de rires gras et de hurlements heureux.

J'interromps ma commande en observant les quatre femmes, aussi belles que celle à qui j'ai volé le poste, faire leur entrée, en se déhanchant langoureusement. Sur un fond de tango, elles débutent une danse, tournoyant dans leurs longues jupes transparentes. Des pétales de rose pleuvent du plafond lorsque les soupirs de certains spectateurs se font entendre. Puis une main s'abat sur le comptoir, à quelques centimètres des miennes. Je bascule la tête sur le côté et croise un regard noir comme la nuit, sans la moindre pupille apparente. Et sans la moindre étincelle. Un démon mineur, donc.

-        Où est ma commande, la nouvelle ? grogne le serveur en fronçant les sourcils.

Je me reprends à deux fois pour éviter de lui envoyer une insulte bien méritée, mais parviens à lui tendre les deux verres de rhum sans rien formuler de trop agressif. Il m'offre un sourire sarcastique, comme s'il connaissait parfaitement mes pensées à son égard, puis se fond dans la foule. Je grince des dents en attrapant les verres sales laissés sur le comptoir, et passe mes nerfs à les nettoyer.

-        Si tu accélérais le rythme, Damian n'aurait plus rien à te dire.

Retenant une exclamation de profond agacement, je lance un regard noir au Djinn qui, toujours attablé au bar, de mon côté, ne fait pas mine de se désintéresser des papiers posés devant lui.

L'enfer est un paradis, TOME 1 : La Peine des RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant