Chapitre 1

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De nos jours

J'ai toujours aimé l'apaisement que nous procurent les morts, la tranquillité de leur silence. Même si je sais que certains peuvent se relever, que certains ne sont pas tout à fait de l'autre côté, remonter les allées a toujours été synonyme de paix chez moi. Je suis une promeneuse de cimetière. Une visiteuse des tombes. Pas comme un Nécromancien, certainement pas comme une Goule. Je me balade, tout simplement. Parfois, je m'arrête et lis quelques noms. Je travaille un bouquet sur le point de se faner, je désherbe une tombe sans descendants.

Je me questionne sur leur passé, tente de décrypter ce qu'ils étaient en me basant sur leur épitaphe, lorsqu'ils en ont. Cet homme était-il un tortionnaire avec sa femme et un père aimant ? Cette femme a-t-elle vécu tous ses rêves ou s'est-elle laissée mourir, avaler par une vie trop courte ? Je reste toujours plus longtemps devant les tombes des enfants. Comme si, soudainement, le chagrin de leurs parents m'étouffait, m'attrapait pour me faire ressentir leur peine et me pousser à les suivre dans les cryptes.

Mais les Fantômes n'apparaissent pas souvent aux humains, et je reprends ma route, sans chercher une ombre ou une trace d'un passé dont je n'ai aucune connaissance. Régulièrement, je m'assois sous l'un des vieux chênes protégeant les mausolées des intempéries pour lire, ou parler. Si j'étais Nécromancienne, je pourrais croiser le regard d'un mort et interagir avec lui. Je pourrais les questionner sur les moments qu'ils ont vécu, dans leur ancienne vie. Ensemble, nous pourrions retrouver des pans entiers d'un passé révolu, juste pour le plaisir de se plonger dans l'histoire.

Mais je ne suis pas Nécromancienne. Je ne suis qu'humaine, tout comme Adèle. Et alors que son urne est déposée dans la tombe, j'ai la pensée que je ne reviendrais plus jamais dans un cimetière. De loin, j'entends le prêtre prononcer quelques mots en son honneur, mais rien de distinct ne me parvient. Un enterrement n'est jamais amusant. Pourtant, j'ai envie de rire, car je n'y crois pas. Le cortège passe devant mes yeux écarquillés, sans que je comprenne réellement ce qui est en train d'arriver. L'on pense avoir tout le temps du monde jusqu'à ce que la vie nous rappelle à sa consœur. La mort.

Elle nous tombe dessus, sans prévenir. Jamais. Ou, du moins, presque jamais. Il y a toujours quelques originales qui veulent connaître le jour de leur mort et contactent un Oracle. Ce n'est, à mon sens, pas vraiment une bonne idée. Adèle et moi... nous nous sommes toujours moqués de ce genre de comportement. De ces personnes, n'arrivant pas à vivre, et se contentant de survivre dans un monde où l'homme est devenu proie. Où l'homme est faible. Adèle et moi... pensions avoir du temps pour vivre et rire. Et me voilà, devant sa tombe, effondrée. Anéantie. N'importe qui le serait. Mon monde est parti en fumée.

Après la cérémonie, je reste devant la petite sépulture, qui abrite dorénavant le reste de ses cendres. Adèle était croyante, et je sais qu'elle aurait adoré l'idée d'avoir son propre cercueil. Adèle était comme ça, un peu trop fascinée par sa propre mort. Pourtant, elle savait qu'elle n'aurait jamais eu les moyens, et qu'elle ne pouvait pas compter sur moi. Avec la chute démographique que nous subissons depuis la guerre, les croquemorts ont doublé les tarifs, et les nécropoles sont submergées. Il n'y a de la place que pour les riches, dorénavant. Et les cimetières des Humains sont, à Londres, monnaie rare. Reste la fosse commune, mais je n'ai pas pu m'y résoudre. La dernière maison d'Adèle m'a coûté la mienne.

Dans un mois, si je ne trouve pas une solution, je serais éjectée de notre petit appartement. Je suis persuadée qu'Adèle, si elle avait pu parler, m'aurait dit de ne pas avoir mauvaise conscience et de la jeter dans la Tamise, là où repose un nombre incalculable de cadavres. Le maire de Londres a bien tenté une fois de drainer le fleuve et de lui faire retrouver sa splendeur d'antan. Le résultat s'est chiffré à plusieurs centaines de corps, en plus ou moins bon état. Pour le coup, il y avait de tout. Des Loups, des Fées, des Sorciers, des Humains... On dit avoir repêché des Métamorphes, même si je n'y crois pas vraiment. Tout le monde sait que cette espèce est au bord de l'extinction, ou a déjà disparu.

L'enfer est un paradis, TOME 1 : La Peine des RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant