Chapitre 14

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Lorsque je rouvre les paupières, nous sommes de retour dans le bureau. Un endroit familier, que je n'apprécie pas, mais que je connais. Immédiatement, les violentes palpitations enserrant mon cœur se calment petit à petit, et me permettent de reprendre pied avec la réalité. Je relève la tête, découvre être assise sur le canapé, et croise le regard clair de l'Archange, posté au centre de la pièce.

-        Cette petite fille était très courageuse... murmure Raphaël, la voix chargée d'émotion. Et les deux ensembles étaient redoutables. La police a-t-elle fait une enquête ?

Bizarrement émue par son humanité, très étrange pour un Archange, je lui réponds, la gorge enrouée par un trop plein de sentiments.

-        Ils ne les ont jamais soupçonnées. Ce n'était que des enfants, après tout...

-        Que sont-elles devenues ?

-        Elles ont grandi dans leur enfer personnel, avant de disparaître, un beau jour. Sans laisser la moindre trace.

-        Où sont-elles allées ?

-        Loin, très loin des monstres de leur enfance. Malheureusement, elles ont découvert dans leur fuite que l'Enfer est là, dans chaque jour, chaque instant. Alors, elles ont juste appris à vivre... et surtout, à survivre.

Raphaël penche la tête sans me quitter des yeux, alors que se lit une profonde tristesse sur sa figure, me prenant totalement au dépourvu.

-        Ce sont des êtres emplis d'un grand courage. Seulement, l'une d'elles n'est plus là, n'est-ce pas ?

J'ouvre la bouche, et me retrouve prise au piège de mon chagrin, alors que des larmes s'accumulent au coin de mes yeux.

-        L'une... l'une n'a pas survécu, confirmé-je dans un souffle. Elle n'avait pas le droit de quitter sa sœur, et pourtant, la mort l'a pris.

Je rassemble mes jambes contre moi, me roulant en boule, prostrée sur le canapé. Je me sens trembler, mais ne ressens aucun froid, juste un immense et terrible vide. C'est... trop. Beaucoup trop pour ce que je suis prête à endurer. Je peux supporter des coups et la violence du quotidien. Mais une horreur pareille... un cauchemar aussi évident, c'est trop. Mon esprit déraille, mon corps chute... et mon monde s'effondre. Avec toutes les informations glanées au court de ces dernières heures, mon univers s'effrite morceau après morceau, me laissant esseulée. Dans une gare vide, sans aucun train à prendre.

-        Votre univers change, évolue, commente doucement l'Archange. Mais il ne disparaît pas. C'est dans l'ordre des choses que les événements passés modifient le futur. Et votre avenir n'est pas si sombre. Vous êtes forte, cette nuit-là l'a prouvé.

-        À quoi bon être forte si l'on ne peut plus se battre pour la personne que l'on aime ? fais-je, m'abandonnant au marécage de mes pensées sombres. Cet accident m'a volé mon ancrage dans ce monde. Comment puis-je me relever après ça ?

-        Vous le ferez, m'assure Raphaël, sans la moindre trace de doute dans la voix. Parce que ce nouveau monde s'ouvre à vous, et vous tend les bras. Parce que votre chemin est loin d'être terminé. Et que votre destinée n'est pas de vous laisser aller à un naufrage suicidaire.

Il s'appuie au bureau, comme j'ai pu le faire en présence d'Ismaël, et contemple la bibliothèque derrière moi, soudain songeur.

-        Ce monde, que vous allez apprendre à aimer, attend votre venue depuis des centaines de siècles. S'en détourner, c'est créer le plus grand retournement individualiste du monde depuis la Faille.

L'enfer est un paradis, TOME 1 : La Peine des RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant