Chapitre 21

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Henry a cherché Lewis sous la pluie toute la nuit, armé d'une vieille lampe torche éclairant à peine. Lily était là aussi. Elle n'avait pas la moindre idée de ce qui venait de se passer. Mais elle savait qu'il comptait beaucoup pour lui, elle n'en savait simplement pas encore l'étendue. Ils fouillèrent les environs toute la nuit, mais Lewis n'était nulle part. Ils appelèrent, à bout de forces, les policiers. Henry exagéra un peu en disant qu'il avait de gros soucis de santé et qu'il fallait le retrouver au plus vite. Il ne mentait pas vraiment, Lewis était malade. Ivre d'amour, et de vivre aussi, ivre de tout ce qui le rendait humain. Ivre de tous ces matins froids, de ces grandes bouffés d'amour qui lui serrent le cœur, ivre d'un mal qui le ronge, qui le déchire en deux, qui gonfle dans sa poitrine jusqu'à l'empêcher de respirer, et qui monte, monte, jusqu'à s'évacuer dans une salle de bain au carrelage blanchi. La vérité était là après tout. Derrière ces fenêtres immenses, une vie s'échouait.

Et Henry s'interrogeait. Qu'est-ce qui restait au monde sans Lewis ? Que restait-il de leurs paroles, de leurs gestes tendres, de tous ces souvenirs, de ces matins chantants, de tous ces rires, et cet espoir, insignifiant, mais tellement brûlant au creux de sa poitrine. Et maintenant, sans Lewis, qu'est ce qui restait ?

Il finit par rentrer chez lui, épuisé, vidé. Il était inquiet, bien sûr, mais un autre sentiment, d'une violence inouïe, lui serra la gorge. Lewis était parti. Il avait imaginé une seule seconde vivre sans Henry. Il était parti, laissant derrière lui tout un tas de vieilles casseroles. Il avait laissé Henry dans son désespoir, sans même s'être retourné une seule seconde. Pas une seule fois. Henry cherchait Lewis partout, dans chaque regard, chaque ombre, chaque parfum, chaque soupir, il ne voyait que lui. Il était partout. Et maintenant il était parti. Il n'était plus nulle part désormais. Peut-être seulement dans le marc du café qu'il touille depuis déjà si longtemps, et qui s'imprègne des perles de rosée glissant sur sa joue. Il est en colère contre le monde entier, il voudrait hurler à l'univers de laisser Lewis près de lui pour toute la vie. Mais l'univers en question est parti. Il a fait son sac, emportant sa vie entière dans un baluchon. Et il avait laissé Henry.

Les heures passent, et l'inquiétude grandit. Les recherches n'ont rien donné. Il a même appelé Célio. Lewis avait laissé son numéro traîner. Ses doigts brûlent, ou peut-être ses yeux, il ne sait plus trop. Ce fameux Célio, celui qui a mis ses mains sur le corps de Lewis, ses lèvres, celui qui l'a fait hurler ce jour là. Celui que Lewis appelle quand rien ne va. La gorge sèche, il patiente. Enfin, après quelques instants, une voix. Il le reconnaîtrait entre mille ce timbre à la fois grave et d'une grande douceur. Il ne peut pas s'empêcher d'imaginer cette voix murmurer dans l'oreille de Lewis, des mots d'amour, salaces, ou bien un rire. Et ça lui faisait plus mal qu'il n'aurait voulu l'admettre.

- Oui ? demanda Célio d'une petite voix

- Je...c'est Henry.

- .....je....LE Henry ? Le Henry qui..

- Je suppose que oui, celui-là.

- Ah.

- Je sais ce qui s'est passé entre vous.

- Ah.

- Je ne t'appelle pas pour ça. Lewis a disparu. Tu as des infos ?

- il m'a dit qu'il voulait partir et je...putain de merde. J'avais pas compris dans ce sens là....

Henry se pétrifie et laisse retomber le téléphone sur le sol, qui s'explose en grands fracas. Il a compris immédiatement, lui. Et c'est une des choses qu'il n'aurait jamais voulu comprendre. Lewis n'a pas imaginé une vie sans Henry. Il a imaginé un monde sans Lewis, et c'est mille fois pire. Il a le sentiment que son cœur vient de se décrocher. Il regarde Lily, et s'effondre sur le sol, tenant le téléphone en morceaux comme vestige de leur relation. Il était à présent à l'image de leur couple....en avaient-ils déjà été un au fond ? Lily s'approcha de lui tendrement et caressa ses cheveux. Mais c'était trop. Il la repoussa violemment, hurlant combien il la haïssait. Elle se recula de surprise, et partit s'enfermer dans la chambre. C'était faux bien sûr, il ne la détestait pas. Mais elle était là, et plus Lewis. Elle l'empêchait d'hurler son amour à Lewis. Il savait qu'il devait faire un choix, mais là, c'était Lewis qui l'avait fait, et c'était très loin de ce qu'il voulait. Il voulait Lewis, rien d'autre. Et tout lui apparut soudain comme insurmontable. Pas sans Lewis. Pas sans son rire et sa peau de velours. L'enfer était là, dans ces bras qui ne le tenaient plus. Il ne savait pas quoi faire, on ne lui avait jamais appris. Comment rester encore debout après tout ça ? Comment est-ce que des matins peuvent encore exister ? Il n'y a plus de matins colorés, plus rien. Il y a juste le manque, et la terreur. Il voulait sortir, respirer l'air frais, et puis hurler là où personne ne pourrait l'entendre. Ses pas le guidèrent là. Dans une rangée de tombes austères et d'un lugubre, il y en avait une, toujours fleurie. Il s'approcha. Il n'avait jamais eu autant besoin de sa maman. Il s'installa, croisa les jambes et observa un instant les inscriptions gravées en lettres d'or. Il les connaissait par cœur, il avait tant de fois parcouru ce chemin du bout des doigts. Cette fois, il n'eut pas aussi mal. Il ne dit rien. Et dieu seul sait ce qui se cache dans un silence. Des tempêtes immenses. Des cris, tellement de cris. Il se décida enfin à lui parler de ce jeune homme qu'il lui avait présenté. Il lui parla longtemps. Comme à chaque fois, il avait l'impression de la tenir dans ses bras, et de ressentir tout son amour. Deux grands bras qui le tenaient si fort et l'empêchaient de tomber. Il se sentit presque mieux.

C'est là qu'il reçut l'appel. Le téléphone de Lily se mit à vibrer et son sang se glaça. Un numéro inconnu. Il prit une grande respiration. Il se sentait si seul dans ce cimetière, dans cet endroit où la mort et la vie se rejoignent et se confondent. Il décrocha de ses mains tremblantes.

- Henry ? Il faut que tu viennes. C'est important. Et urgent. Fais vite.

Et dans ce fais vite, il y eut ton un monde qui s'écroula. C'était un cauchemar. Fais vite. Deux petits mots qui contenaient pourtant toute l'urgence de la situation. Fais vite. Il avait compris, le temps était compté. Il ne voulait pas deviner ce que ces deux mots cachaient comme réalité. Il ne voulait pas entendre, pas comprendre. Surtout pas deviner la mort de Lewis dans un silence. Il savait. On ne dit pas aux gens de faire vite si tout va bien. Célio aurait pu essayer de le rassurer, de lui dire qu'ils avaient trouvé un pouls, n'importe quoi d'autre que ce « fais vite » glaçant. C'était affreux.

Mais pas autant que lorsqu'il arriva et découvrit la scène. Cela se passait de mot. Il avait fait vite, mais ça n'avait pas suffi. 

Lights up - En RéécritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant