C'est devant une tasse de café froid qu'ils se retrouvent. Le silence est pesant, il est partout dans la pièce. Les cils de Lily battent lourdement contre ses joues rougies. Elle agonise doucement. Mais Henry ne dit pas un mot, pas un seul pour cette nuit étrange, pas un seul pour Lily qui se retient de pleurer. La violence est suspendue dans l'air comme un lourd brouillard. Lewis reste mutique, bien que des mots, des grondements, des cris même, se bousculent sans pitié dans sa tête. Où diable Henry dissimule t'il ses larmes ? Est-ce qu'elles lui piquent la peau parfois ? Est-ce qu'elles l'empêchent de respirer aussi ? Tant de pensées s'engouffrent en lui comme un vent glacial. D'un coup, il ne se retient plus, et repousse violemment sa tasse. Elle se brise en dizaines de morceaux.
- Alors tu ne vas rien dire ? hurle Lewis d'un air rageur. Regarde-là !
Henry soupire. Non, il ne la regardera pas. Il déteste ce que ses yeux reflètent. Il déteste ce petit gars qui croit tout savoir, tout comprendre, alors qu'il ne sait rien. Il ne connaît rien à l'amour, il ne connaît que la violence et la pluie. Mais il garde le silence, sa plus belle arme.
- Aies au moins la décence de répondre !
- Tu es jeune Lewis, tu ne peux pas comprendre.
- Je suis vieux à l'intérieur ! J'ai connu la...
- Tu ne sais rien à l'amour, le coupe Henry. Tes propres parents n'ont pas été foutus d'aimer un fils comme toi. Alors abrège avec tes leçons à deux sous.
Le corps de Lewis se plie en deux douloureusement. Il est tellement choqué que son souffle se coupe net. Il ouvre des yeux agrandis par la rage, une rage infernale, brûlant ses os, noyant ses yeux, serrant son cœur comme deux griffes acérées. Il se lève furieusement, le menton relevé. Une porte claque. Lewis tient fermement son coussin entre ses doigts tremblants, et enfin, dans le silence de la pièce, il laisse couler ses larmes. Il est tellement enragé qu'il écume de colère. Il n'avait tellement pas le droit de dire ça. Et puis, alors que la rage pulse contre sa tempe, il se met à hurler de douleur. Il emporte avec lui le regret de n'avoir jamais été à la hauteur des attentes de sa famille. Il se sent terriblement seul avec ce poids sur la poitrine. Il prit son téléphone, tapota un numéro qu'il connaissait par cœur, attendit deux ou trois sonneries.
- S'il te plaît maman...réponds...j'ai tellement besoin de toi...j'ai tellement froid maman...j'ai tellement mal au cœur....maman.
Un lourd silence s'abattit sur la pièce. Au fond de lui, il savait qu'elle ne répondrait pas. Mais il avait tellement besoin d'y croire. Il voulait redevenir le petit garçon qu'il était avant que tout se gâte et qu'il ne fasse l'erreur de grandir. Il jeta rageusement son téléphone sur le lit. Il voulait juste être aimé. Tenir entre ses doigts un morceau de cœur et le garder pour toujours, comme un secret qui réchauffe la peau. Il n'en pouvait plus de ces larmes qui coulaient dans son cœur et qui desséchaient la peau ridée sous ses yeux. Il les essuya rageusement.
Personne n'est venu le consoler ce jour-là. Il était épuisé d'avoir tant pleuré. Lewis ravale toujours ses larmes, c'est ce que la rue lui a appris. Si tu pleures, tu es un homme mort. Reste fort, ou la rue se chargera de toi. Certaines douleurs ne se partagent pas.
**
Lewis jouait nerveusement avec sa paille, en fixant l'immense pendule accrochée au mur. Les minutes s'égrenaient lentement. Il laissa traîner son regard sur les quelques badauds qui parlaient fort, un verre de bière à la main. Tous avaient l'air tellement heureux. Leurs rires étaient gras, et dévoilaient une dentition parfaite. Une femme jouait avec sa cuillère, l'air songeur. A quoi pensait-elle donc ? Il fixa ses longs doigts peints d'un rose délicat. Elle ne portait pas de bague. L'espace d'un instant, il voulait être elle, il voulait son calme, son port de tête, son rire délicieux, il voulait sa confiance, et la force qu'il voyait dans ses yeux zébrés. Il voulait un jour marcher avec la même aisance, rire comme si c'était la chose la plus naturelle du monde. Il voulait ce qu'il y avait dans ces yeux, des éclairs de bonheur. Il baissa la tête. Le bonheur allait si bien à cette dame, il s'en voulait de n'avoir plus cette insouciance dans le cœur. Il, avait déjà vécu trop de vies pour parvenir à cet état de béatitude. La femme continuait de rire, et Lewis en avait presque la chair de poule. Il voulait trouver cette femme, lui dire que son rire était la chose la plus magnifique du monde, qu'il était ce qui l'habillait le mieux. Les verres glissaient de sa paume à la table, puis d'un seul coup, l'alcool ne sut plus éponger ses rires, et elle se mit à pleurer. Lewis se leva précipitamment. Il voulait qu'elle ne s'arrête jamais de rire, mais elle pleurait, et ses larmes coulaient le long de sa joue veloutée. Ses yeux étaient brillants. Elle remarque enfin Lewis et lui adressa un petit sourire. Mais la porte s'ouvre, et tous les regards convergent vers le jeune homme qui vient d'entrer. Sous sa veste en jean bien trop large pour lui, un visage radieux. Il s'installe près de lui, sirote un peu de sa boisson, et se déshabille. Il commence à parler, et sa voix chaleureuse donne l'impression de lui faire un câlin. Lewis l'écoute à moitié. C'est pourtant lui qui lui a demandé de venir. Il risque un coup d'œil sur l'horloge. Il est pile à l'heure, comme d'habitude. Noé ne se lasse pas de parler, il adore ça. Dommage qu'il ne le fasse qu'avec des choses insignifiantes. Mais il a ce truc. Il lui suffit de dire une phrase, à peine, juste un mot, et l'instant d'après, on voudrait passer notre vie dans cette conversation. Il illumine des aspects de notre existence dont nous n'avions aucune idée. Alors Lewis l'écoute parler. Ses mots sont comme un océan, des vagues folles qui dansent devant les yeux, un lit d'écume où se plonger.
VOUS LISEZ
Lights up - En Réécriture
RomansaLewis. Dans les rues bondées, il est un de ces fantômes dont la lumière passe au travers. Un de ces cœurs d'un noir d'encre. Il n'a pas su trouver le courage de fuir contre les monstres qui volent l'innocence des enfants la nuit. Devenu adulte épri...