Elle reste des heures à observer le firmament, à déposer dans le creux des étoiles ses prières silencieuses. Elle a encaissé ses cris, ses silences, ses secrets, sa douleur, sans rien oser dire. Elle l'aimait, elle pansait ses blessures patiemment. Mais ce silence là, c'était trop, c'était pesant, étouffant, c'était comme une douche froide en plein hiver. Elle grelottait. Ce n'était pas le froid. Il faisait bon dehors. Mais son cœur semblait s'être glacé. Elle noyait ses larmes dans le souffle du vent. C'était une douleur atroce, presque angoissante. Elle était épuisée d'être forte tout le temps, de ce silence lourd qui appuyait sur sa poitrine. La porte s'ouvrit dans un crissement. Elle tourna la tête, essuya ses yeux humides avec son doigt, se recoiffa maladroitement, et inspira un peu. Il ne fallait rien montrer. Elle laissa Lewis s'avancer vers elle, et réussit l'exploit d'afficher un sourire contrit.
- Tu ne me demandes pas pourquoi je pleure ? demande t'elle d'une voix tremblante
- Non, je le sais. La raison est en train de lire un livre dans le canapé. Le livre a l'air excellent, il ne t'a même pas entendu pleurer.
Elle émet un petit rire. Oui, le livre doit être vraiment passionnant.
- Ça fait longtemps qu'il te laisse pleurer ?
- Des mois...elle soupire, le cœur lourd.
Lewis ne répond pas. Il observe la lune scintillante en silence. Parfois, il n'y a rien à dire. Il pose sa tête sur son épaule, et la recoiffe d'un geste plein de douceur.
- Tu ne devrais pas pleurer. Tu devrais être heureuse.
Elle hocquete.
- Je ne suis pas sûre de savoir comment faire autrement. C'est tout ce qu'il m'a appris.
- Tu parles d'un héritage...
- Parfois, on ne choisit pas tu sais. Je l'aime, et...
- Et ça ne devrait pas tout excuser.
Elle soupire. La vérité blesse parfois.
Lewis ne cherche pas à en savoir plus. Il ne comprend pas pourquoi elle reste, il est bien parti lui. Il n'est jamais revenu. Les cris de son père ont suffi, il savait qu'il ne reviendrait pas en fermant la porte pour la dernière fois. Mais elle ? Elle continue de rester, malgré les larmes, les colères, malgré Henry, malgré la haine, la tempête. Elle reste.
- Tu sais. Parfois on croit qu'on a nulle part où aller, mais c'est faux. Quand on trouve des gens qui ne veulent plus de nous chez eux....on se construit notre propre palais. Tu devrais essayer.
Elle éclate de rire et s'exclame : « je ne suis pas maçon ».
- Je ne l'étais pas non plus. J'ai appris.
Elle sourit timidement. Tout à coup, quelque chose s'illumine en elle. Elle a devant lui un jeune homme chez qui elle a encore tellement à apprendre. Elle prend doucement sa main, et glisse un merci dans le creux de son oreille. Merci de savoir calmer les tempêtes, merci de les avoir essuyées avant moi.
Et puis, elle décide de rentrer, sans un regard pour Henry, elle se glisse sous les draps glacés. Quelque chose lui écrase la poitrine. Elle tend le bras, porte un verre d'eau à ses lèvres, mais cela n'apaise pas la brûlure. Elle étouffe dans ce lit, qui lui semble alors tellement grand. Henry est resté dans le salon. Elle tourne la tête, et partout dansent dans son esprit des monstres aux formes terrifiantes. Il lui semble entendre un rire grinçant, presque menaçant. La porte s'ouvre en laissant échapper des sanglots déchirants. Elle frissonne. Elle n'a pas peur. Pas maintenant. Elle aura peur demain, lorsqu'il faudra se réveiller, et qu'un nouveau jour viendra balayer l'émotion de la veille. Quand il faudra se lever, le cœur hachuré, les jambes tremblantes et le visage las. Réflexe enfantin, elle se cache sous sa couverture. Henry s'installe sans dire un mot tout près d'elle. Elle sent sa respiration tranquille. Puis, un froissement de pages. Il lit sûrement. Sûrement, elle ne s'étouffe pas assez fort. Elle essuie ses larmes avec plus de conviction, augmente le débit sonore de ses pleurs. Henry ne bouge pas. Elle soupire et se tourne dans le lit, noyant ses larmes dans le bel oreiller en plumes.
- Henry...s'il te plaît...dis quelque chose.
Il soupire, referme son livre à contrecœur, et se tourne vers elle. Il n'a rien à dire.
- Tu me fais une scène et je déteste ça. Te mettre dans un état pareil, franchement. Maintenant, est-ce que je peux terminer mon bouquin sans t'entendre renifler ?
Quelque chose lacère son estomac. Il n'aurait rien dû dire. Elle couine. Le bébé vient de lui donner un coup de pied. Elle caresse son ventre maladroitement. Mon bébé, pense t'elle, reste un peu au chaud encore, le monde est bien trop cruel. Elle pense à cette petite vie qui grandit en elle, et une vague impression de malaise la surprend. Que lui restera t'il à cet enfant ? Des morceaux de cœur ? Est-ce qu'elle sait que sa mère pleure ? Est-ce qu'elle sent sa douleur ? La comprend ? Est-ce qu'elle souffre aussi ?
Elle se sent tellement coupable, elle ne veut pas que son enfant souffre à cause d'elle. Elle essuie son visage, et se promet de ne plus pleurer. Elle n'a pas le droit. Elle hocquete encore un peu, et sa main glisse sur sa peau étirée.
Henry éteint la lumière, c'est un signe discret pour dire qu'il est temps de dormir. Elle éteint la sienne en silence.
- Comment peux-tu être ainsi sans cœur ?
- C'est un entraînement de longue haleine. Des années de pratique.
Elle soupire. Son rire est grinçant. Elle s'endort, épuisée. A son réveil, le lit est vide d'Henry. Elle le retrouve finalement quelques instants plus tard, dans la chambre de Lewis, profondément endormi sur une chaise en bois, une chemise posée sur son torse, sa main enlacée à celle de Lewis. Elle reste silencieuse devant se spectacle désarmant de naturel, on pourrait presque croire qu'il avait fait ça toute sa vie. Mais c'est faux. Il y a quelque chose de singulier dans ces doigts liés. Une pointe de jalousie brûle son cœur. Elle ouvre ses rideaux, la clarté réveille doucement Henry, qui bougonne un peu, pour la forme. Lily sait à quel point il déteste être réveillé par de la lumière. Il lui lance un regard noir, empli de colère.
- Il est bientôt onze heures. Venez manger quelque chose.
Ce n'est qu'une phrase, mais elle suffit à faire bouillonner Henry de l'intérieur. D'un coup, il trouve sa voix détestable, son visage horripilant, oh qu'elle apparaît vilaine désormais, maintenant que l'amour s'en est allé. Il ne peut dissimuler sa grimace de dégoût. Elle l'a senti et a baissé les yeux. Elle s'est immédiatement sentie de trop, dans cette chambre ridiculement petite. Elle recule et quitte la pièce en frissonnant. Les yeux d'Henry brillaient de quelque chose d'indéfinissable. Comme si, le temps d'une nuit, sa vie s'était remise à l'endroit. Sans elle.
Henry, de son côté, caressait du bout des doigts la joue de Lewis. Il se tortille, et ouvre de grands yeux effarés. Il se replie contre le mur.
- Ce n'est que moi, tu as fait un vilain cauchemar et je...
Il suspend sa main dans les airs. Pourquoi Lewis a-t-il l'air terrifié qu'on le touche ? Il laisse retomber son poignet, ne sachant trop quoi faire. Cette nuit, il a retrouvé l'adolescent couvert de sueur, les yeux immenses et implorants, le visage froissé par la peur. Henry a simplement tendu sa main, et il s'y est accroché, comme une moule à son rocher. Comme si cette main, c'est tout ce qui lui restait dans le monde. Lentement, les cognements de sa poitrine ont cessé. C'était un moment tellement intime. Lewis était terrifié, mais Henry avait su l'apaiser. Il était resté, la petite main de Lewis perdue entre ses doigts gonflés. Lentement, il avait repris pied, et son cauchemar n'était qu'un lointain souvenir. Mais voilà que ce matin, les terreurs de Lewis avaient repris.
Il ne savait pas encore combien les caresses d'inconnus, souvent non consenties, avaient brulé la peau de Lewis. Il ne savait pas encore combien la chaleur d'une peau humaine pouvait être étouffante. Il avait encore des millions de choses à apprendre de ce petit bout d'homme, ça, il en était sûr.
Après ce moment un peu fantasque, ils se levèrent pour aller à la cuisine.
- Le café est déjà froid.
La voix de Lily se perdit dans la foule silencieuse. Quelque chose venait de naître entre les deux hommes. Et tant pis pour le café.
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Lights up - En Réécriture
RomanceLewis. Dans les rues bondées, il est un de ces fantômes dont la lumière passe au travers. Un de ces cœurs d'un noir d'encre. Il n'a pas su trouver le courage de fuir contre les monstres qui volent l'innocence des enfants la nuit. Devenu adulte épri...