Chapitre 25

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Une silhouette disparut au petit matin, avec dans le cœur le souffle léger de la liberté. Il était épuisé par cette nuit agitée, riche de larmes et de nostalgie, de blessures, et de guérison à la fois. Il n'était pas venu. Il avait fait confiance à Célio, qui avait toujours su être là pour lui, pour qui les mots n'étaient pas une forteresse dissimulée dans les profondeurs du cœur. Le monde lui apparut soudain si vaste, et si lointain sans les doigts de Lewis enlacés dans les siens. Effrayant aussi. Maintenant qu'il était seul, dans la nuit, et que des formes affreuses et terrifiantes se dessinaient sur les murs, il comprenait Lewis. Il avait entendu, lui aussi, les cris de la nuit, les hurlements désespérés de tous ceux qui n'ont nulle part où aller, et les gémissements plaintifs de ceux qui ne verront jamais plus le jour se lever. Les effluves d'alcool, la fumée âcre et étouffante qui serraient sa gorge, et les rires, évanouis, terribles, les traits bouleversés par la haine, la peur aussi, la peur de ce monde qui n'étaient plus faits pour eux. Il avait vu tous ces gens, appartenant au décor, ces gamins qui n'en sont déjà plus. Il avait vu Lewis dans tous ces corps entassés, frigorifiés, ceux qu'on ne voit ni ne regarde plus, parce qu'ils sont le fruit d'une société cruelle et injuste. Lewis était un de ces gamins là, un de ceux qui n'aurait jamais de chez lui. Il soupira. Lewis avait trouvé un chez lui pourtant, à l'intérieur de ses bras. Il n'avait rien vu. Il aurait suffi d'un regard. Mais il n'a pas regardé. Il n'a pensé qu'à lui, que l'équilibre d'une famille valait mieux que l'homme qu'il aimait. Il s'était trompé. Lewis était dans tous ces visages, dans tous ces regards éteints, dans toutes ces peaux qu'on ne caressait plus. Il avait passé la nuit avec le père de Lewis. Maintenant, c'était au monde entier qu'il devait se présenter. Et le monde l'attendait, l'attendrait toujours. Et le monde était devenu Lewis. Il rentra chez lui au petit matin, sa main désespérément vide. Lily s'avança vers lui, jusqu'à que leurs peaux se touchent. Mais elles ne brillaient plus ensemble.

- Tu étais avec lui ?

Il ne répondit pas. Il fixa un point dans le vide, et fronça les sourcils. Lewis était partout. Nulle part et partout à la fois. Elle tapota son épaule avec la délicatesse d'une femme inquiète et jalouse. Il ne répondit toujours pas. Après un silence lourd, il tourna la tête.

- Ouais. On a baisé toute la nuit ouais.

Ce n'est pas tout à fait ce qu'elle voulait entendre. Elle baissa la tête honteusement. Elle se sentit soudain à l'étroit dans ce canapé. Elle avait l'impression d'étouffer. L'idée même de voir Henry caresser d'autres peaux que la sienne l'écœura. Et lorsqu'elle releva la tête, Henry pleurait. Il semblait tellement fragile et impuissant qu'elle lui prit la main tendrement. Il ne releva même pas. Il ne pensait qu'à Lewis. Ils s'aimaient. Il n'avait jamais pu lui montrer l'étendue de cet amour. Jamais pu le prendre dans les bras et se sentir revivre, jamais pu parcourir sa peau avec des baisers, jamais pu sentir sa respiration lourde emplir la pièce, le voir se tortiller dans ses bras, et serrer entre ses doigts ses poignets délicats. C'était profondément injuste. Leurs corps s'ajustaient pourtant si parfaitement quand ils s'embrassaient. Mais maintenant, il était parti, et le monde qu'il avait entrevu un instant à Wellington s'était évanoui dans la nuit. Il ne restait plus qu'un souvenir amer, et une trace d'innocence sur leur taie d'oreiller. Il bondit jusqu'à la chambre de Lewis. Emporté dans sa chute, un verre se brisa. Il s'enroula dans le plaid, l'odeur de Lewis le brûlant tout entier. Il venait de perdre la seule chose qui comptait vraiment à ses yeux. Il s'endormit, abruti par toutes ces pensées qui l'empoisonnaient.

**

Pendant ce temps-là, Lewis était allongé dans le canapé de Célio, une bière à la main. Elle n'avait plus le même goût qu'avant. Le goût d'Henry. Maintenant, elle avait le goût des regrets, et des ego blessés. Célio s'approcha de lui, et se fit une petite place dans le canapé. Lewis grogna qu'il ne l'avait pas invité. Célio leva les yeux au ciel et le fixa d'un air de défi. Sa réponse fut cinglante. « Tu n'invites personne à faire partie de ta vie en même temps. Tu te considères comme un danger mortel si on s'approche de toi. Mais la vérité Lewis, ce qui nous tue, c'est ton absence ». Un poignard planté dans le cœur n'aurait pas fait plus mal. Il n'ose rien dire. Il sait qu'il a raison, comme toujours. Son père a fait germer en lui l'idée qu'il ne méritait pas l'amour, qu'il était une plaie, et les graines sont devenues plantes, puis arbres impossibles à abattre. Les racines l'étouffent chaque jour. Même seul, il a dû composer avec la présence de ce père partout en lui. L'air était devenu irrespirable. Mais quand le bleu a rencontré le vert, quelque chose a changé à tout jamais. Lewis a respiré de nouveau, avant d'être rattrapé par ses démons, qui prennent parfois tant de place, qui le paralysent, et l'ont empêché d'aimer. Une rage furieuse le foudroie. Il repousse violemment Célio, qui ne réagit même plus. Il a le visage impassible et résigné de ceux qui se sont déjà battus trop longtemps pour le faire rester. Il se précipite sur le balcon, et claque la porte derrière lui. Il prend son téléphone, et d'un geste tremblant, mal assuré, il cherche son numéro. Il le connaît encore par cœur. Il l'a composé des milliards de fois quand il avait besoin de lui, sans jamais, jamais trouver le courage d'appuyer sur le petit bouton vert. Il répond tout de suite. Sa voix troublée trahissait son émotion. Il espérait cet appel depuis des années. Lewis ressentit un profond soulagement en entendant la voix caressante de son père. Il était resté un petit garçon qui n'avait jamais grandi. Un petit garçon qui avait l'impression que dans les bras de son papa, il serait toujours en sécurité, qu'il saurait combattre tous ces monstres qui le terrifiaient. Mais il ne l'a pas protégé du monstre le plus terrible : lui-même. Ces monstres qui sourient le jour, devant des amis, des collègues, mais qui te volent ton innocence la nuit, sitôt la porte refermée. Lewis s'y était accroché, à ce père qu'il idéalisait, adorait. Il changerait, il en était sûr. Il était si fier de cet unique fils, il le regardait avec des yeux brillants, le considérait comme un prince, il aurait tout fait pour lui. Mais le fils a grandi, et l'amour de ce père s'en est allé un soir de décembre. Lewis était pourtant resté le même. Et c'est terrible d'apprendre à grandir sans père, ça crée des cicatrices qui ne se referment jamais.

- Allo ?

- Salut pa'....

Il se tait. Non, c'est encore trop douloureux. Il n'est plus son père depuis des années. Impossible de l'appeler comme ça. Il se corrige et l'appelle monsieur. Il n'est rien d'autre. Au silence et à la respiration étouffée de son père, il devina l'insupportable douleur qui lui prenait la gorge. Mais il n'ajouta rien. Ce n'était pas au fils de consoler le père d'avoir cessé de l'être.

- Monsieur.....je....

- Comment veux-tu que j'appelle une personne qui m'as jeté dehors ? J'ai été à la rue par ta faute. J'ai bravé le froid, la faim, la violence, la peur, j'ai supporté qu'on viole mon innocence en silence, le sang, la mort, juste parce que tu n'as pas supporté que....que j'embrasse un homme. Tu croyais quoi ?

- Je....on t'a fait du mal ?

Lewis éclata d'un grand éclat de rire nerveux. Ce qui ne rassura pas vraiment son père. Il ne comprenait pas toute l'ironie derrière ce rire.

- J'ai été violé. Plusieurs fois. Tabassé. On m'a craché dessus. On m'a poignardé. On m'a obligé à faire des choses que je ne voulais pas, mais que j'ai quand même dû faire simplement pour rester en vie.

- Je suis désolé.

- Il est trop tard pour être désolé. Ça ne changera plus rien. Plus jamais. T'avais ma vie entre les mains et....et t'as détruit tout ce qui me restait.

- Je....au moins tu as compris....les hommes ce n'est pas fait pour toi.

Lewis s'étouffe. Est-ce qu'il a vraiment osé dire ça ? Il croit rêver.

- Je suis amoureux. D'un homme. Et il me rend heureux comme jamais personne n'a su le faire. Même pas toi. Et je m'en fous que tu ne comprennes pas, mais à chaque fois qu'il m'embrasse, j'ai le cœur en feu, c'est comme si.....je saurais même pas décrire ça. Je découvre ce qu'il y a de plus intime chez lui, comme si un instant je partageais son âme...il m'offre tout ce dont j'ai besoin....tout l'amour, et la chaleur dont j'ai manqué. Et dans ses yeux, je me sens tellement grand, tellement tellement, je....

- Je m'en fous. Pourquoi tu m'as appelé ?

- Pour te dire que je te détestais de toutes mes forces. T'es désolé ? jusqu'à que t'apprennes que tout ça n'a servi à rien et que je serais plus jamais ton fils chéri hétéro ? Putain, je te déteste tellement, t'as même pas idée. J'arrive même pas à faire confiance aux gens et à les laisser m'approcher parce que j'ai peur de toi, parce que j'ai grandi en pensant qu'ils me feront tous du mal, comme toi. Et maintenant, j'ai perdu Henry, parce que j'ai trop d'haine en moi et pas assez d'amour. Parce que tu m'as jamais appris que je méritais d'être aimé. Parce que si mon père, mon pilier, m'abandonne, qui restera ? Hein ? Qui saura m'aimer plus fort que toi ? Qui saura me réparer pièces par pièces ?

Son père ne répondit pas. Il se contenta de sourire. Même après que Lewis ait raccroché et supprimé son numéro. Il souriait, parce qu'il avait gagné. 

Lights up - En RéécritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant