Chapitre 13

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J'entends des cris alors que j'ouvre à peine les yeux. J'enfile un jogging mal repassé et passe la tête contre la porte. D'ici, je peux voir ce qui se passe. Et, comme je m'en doutais, c'est encore Lily et Henry. Elle tourne autour de la table, ses talons aiguilles claquent contre le sol. Elle fait de grands gestes, ne sachant trop si c'est contre Henry ou contre elle-même. Elle n'arrive plus à parler, alors elle hurle, elle tape du poing sur la table, elle se prend le visage entre ses mains et finalement, se met à pleurer. Harry a les bras croisés et soupire. Il ne s'approche pas. Lorsqu'il m'aperçoit, son regard s'illumine. Elle tourne la tête vers moi, les lèvres plissées et le mascara coulé sur ses joues.

 
Je m'approche d'elle et la prend dans mes bras. Je la connais bien maintenant. Elle commence une dispute mais tout ce qu'elle veut, c'est qu'on lui dise qu'on l'aime et qu'on va rester. Elle hoquète contre mes bras et me glisse un merci dans le creux de l'oreille. Elle avait besoin de ça. Henry nous regarde, toujours les bras croisés, et son expression est intriguée. Alors c'était tout ? Il suffisait de la prendre dans ses bras ? Il se sent bête. Dans un autre monde, il ne se serait pas posé la question. Mais dans ce monde-là, tout contact avec elle lui laisse une impression désagréable. Sa tendresse, ses petits yeux plaintifs et son sourire constamment tristes, il déteste ça. Elle ressemble à un chiot abandonné. Il déteste cette peau, ce corps rentré vide de l'hôpital alors qu'il avait espéré ce petit garçon des années. C'était la seule chose qu'il voulait dans ce monde. Et puis il y a eu cette échographie, et ce coeur qui ne respirait plus. Et tout recommençait. Il avait haï son père d'avoir laissé mourir sa mère, il avait haï Lily de la même manière. On se souvient pour toujours de ceux qui nous ont séparés de ceux qu'on aime. Aujourd'hui, tout ce qui restait c'était la résilience et le pardon. Mais il n'y arrivait plus. Il avait essayé pourtant. Officiellement, ils ne s'aimaient plus. Officieusement, cela cachait d'indicibles chagrins, inaudibles et monstrueux. Des silences aussi. Ces silences-là étaient des bombes à retardement. Ces silences-là, ils tuaient. Évidemment, Henry n'en avait jamais parlé à quiconque. Il était resté avec ce secret au fond de lui, et tout s'était craquelé à l'arrivée de Lewis.
***

Elle était partie le cœur apaisé, lançant un regard noir à Henry. Il n'avait pas su être là. Le soir même, elle se perdait dans les rues, faisant la tournée des bars. Elle trouva un endroit charmant, s'installa. Et au moment où elle allait prendre le verre à pleine main, elle se souvient de Lewis et reposa le verre. Elle refusait de participer une seconde de plus à ce genre de soirée à n'être plus l'ombre d'elle même. Elle prit son sac et se jura de ne plus jamais y remettre les pieds. Elle releva la tête. Elle était bien plus que ça. Bien plus que ce qu'Henry ne voyait désormais. Ses pas la menèrent chez un coiffeur, et, sûre d'elle, elle y entra.
- J'ai besoin d'une nouvelle coupe.
- Bien sûr Madame. Pour plaire à un jeune homme ?
- Une jeune femme.
Un sourire sincère illumina la pièce. Le coiffeur passa plusieurs heures à couper, colorer, laver, masser. Et le résultat allait bien au-delà de ce qu'elle aurait pu imaginer. Elle était de nouveau belle. Elle était de nouveau quelqu'un, et pas seulement d'après le regard d'Henry. Elle repartit le coeur léger. Elle sentit dans son ventre quelque chose naître. Et cette fois, personne ne lui reprendrait. C'était niché là, sous sa cage thoracique, et ça montait, ça emplissait ses poumons d'air frais. Bientôt, elle rirait aux éclats et se sentirait légère, bientôt elle affronterait Henry sans trembler. Elle longea le canal, laissa ses jambes nues au soleil et fit tremper ses orteils dans la Manche. L'air était frais. Et pour la première fois, elle avait le sentiment de vivre pour de vrai.
Elle repartit lorsque les nuages noirs grondèrent. Elle retrouva le petit appartement de Fatima, prépara un bon repas. Parfois, les petites choses sont immenses. L'inverse est vrai aussi.
***

Henry boutonna avec habilité la chemise de Lewis, un peu inquiet et nerveux. Il promit à Lewis de l'aider à tout retirer une fois la cérémonie terminée. Lewis rougit et grogna que ce n'était vraiment pas le moment, mais son sourire traduisait une certaine impatience.
- On va être en retard... trépignait Lewis.
- Eh bien elle sera morte deux minutes de plus, ce n'est pas un drame. Elle ne va pas s'en aller !
Lewis ronchonna. En vérité, il était inquiet. Toute sa famille serait réunie là-bas. Et lui, il était seul de son côté. C'était éprouvant de se tenir seul là où ils avaient été plusieurs. Henry lui avait juré de ne pas le lâcher d'une semelle, et ça le rassurait un peu.
- Tu es magnifique, assura Henry. J'ai presque, presque envie de te déshabiller.
- Presque ? demanda Lewis en arquant un sourcil.
- Mmh.
- Mon père risquerait de faire une crise cardiaque.
- Ce ne serait pas une grande perte. Et un enterrement pour deux, c'est moins de sous ! Répond Henry d'un ton très sérieux.
- C'est pas faux. De toute façon je suis déjà déshérité. Alors un de plus ou un de moins ...
Ils éclatent de rire et s'embrassent. Ils sont prêts. Lily les attend sur le pallier. Elle porte une longue robe noire, légèrement décolletée et dos nu. Elle est vraiment très élégante. Mais Henry passe devant elle sans la voir et serre la petite main de Lewis contre la sienne. Le trajet se fait en silence, même si la main d'Henry, posée négligemment sur la cuisse de son amant montre à tous qu'ils s'aiment et qu'ils comptent bien leur montrer à tous. Fatima aurait voulu ça.

Lights up - En Réécriture Où les histoires vivent. Découvrez maintenant