CHAPITRE DIX-NEUF : MÉMOIRE DÉFAILLANTE

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Hello hello, bon, encore dix ans plus tard, voici le chapitre 19 de Moloch. Y a un gros TW Dépression mais sinon bon, y a de l'amour un peu quand même. Fin ça reste Hyacinthe quand même donc amour c'est vite dit. Mais promis ça va.


***


Hyacinthe, 6h, Vendredi

« Dis, est-ce que tu commences à m'aimer ? »

La beauté d'Hobbes dans son lit et son parfum dans les draps me font hésiter dans ma réponse. J'ai envie de lui dire oui. Juste pour voir où cette connerie va encore me mener. Mais si je dis non, j'ai encore un échappatoire. En même temps, je n'ai pas la réponse à sa question. Ou bien je n'ose pas me l'avouer. J'ai beau savoir que le déni est plus fort que tout chez moi, j'aime le choisir à la vérité. Ça rend tout plus simple. Ça me permet de ne jamais véritablement m'investir. Pourtant, je ne peux pas lui répondre non. Parce que ça me ferait chier que quelqu'un d'autre que moi soit dans son lit à parler durant des heures jusqu'au lever de l'aube tranchante à travers les persiennes. Ici, dans ce monde où l'on peine à étendre ses jambes sans se cogner aux murs rudes de la misère sociale et intellectuelle, Hobbes est une ouverture sur le soleil. On peut tuer pour le soleil, parce qu'il y a du soleil, parce qu'il y a quelque chose de douloureux là-dedans. Un peu comme ce que disait Platon avec son histoire de caverne. Tout aurait été plus simple pour le prisonnier s'il était resté dans l'ombre. Mais on l'a trainé dehors, au soleil. La souffrance insupportable a laissé place à une curiosité avide de plus de savoir sur le monde. Hobbes fonctionne comme un soleil. Tout comme il aurait été préférable pour moi de rester dans les bras de son ombre.

« Oui. Je crois.

—Tu crois ? Ce n'est pas une réponse ça. »

Il a un petit rire, Hobbes, quand il sait que je mens ou que je suis pudique, que je rature mes pensées ou que je les défende jusqu'au bout. C'est une personne banale assez extraordinaire dans ses mouvements. Dans le creux de sa voix semblent se loger des arabesques surpuissantes empêchant la vie de se flétrir. Il dessine à chaque intonation de sa voix une nouvelle lueur d'espoir dans ce monde froid et anxiogène.

« Oui, je commence à t'aimer. »

Jamais on aura vu plus beau que son sourire quand il a entendu cette phrase. Ce sourire qui dit que l'on peut tout recommencer, tout refaire, oublier le passé et vivre dans le présent, toujours le présent. Ce sourire qui répare les erreurs, fixent les souvenirs flous et les mémoires défaillantes pour un nouveau point de départ. Ce sourire qui donne tort à Heidegger quand il disait que nous n'étions que de vulgaires grains de sable sur l'immense plage de l'univers et qui lui rétorque à la place que nous ne sommes pas un grain de sable, chacun de nous est la plage entière. Comment arriver à croire tout le bonheur qu'il fait miroiter sous mes yeux aveugles de cette beauté là ? Que va-t-il arriver à mon cœur si je continue à me noyer dans sa positivité aveuglante ? Il faut que je tente cette aventure si je veux des réponses à ces questions.

« Moi aussi, je commence à t'aimer, Hyacinthe.

—Pourquoi, d'ailleurs ? Parce que je suis beau ? »

Un silence s'installe. Hobbes paraît surpris de ma question. Ou gêné. Dans les deux cas, ce n'est pas vraiment la réaction que j'attendais. Peu importe comment je me débrouille, de la plus repoussante à la plus romantique version de moi-même, les gens m'aiment parce que je suis beau. Contrairement à Louis, qu'il soit repoussant comme maintenant ou rayonnant dans le passé, on l'aime lui, dans toute sa substance, dans sa tristesse, dans son mystère, dans sa manière singulière d'aimer la vie à sa façon. Mais moi, je reste simplement beau. Je le vis comme une étrange malédiction ou bien une punition pour mes actions passées. Je ne sais plus vraiment. Hobbes me fait perdre le peu de repère que j'avais crée pour ne plus jamais me perdre.

MOLOCHOù les histoires vivent. Découvrez maintenant