CHAPITRE CINQ : BAL MECANIQUE

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Hey hey hey, avec une semaine de retard, je poste le chapitre 5 de Moloch. C'est aussi le chapitre de la première apparition d'Ange. Et de Tobhias aussi. Promis cette histoire commence un peu à démarrer. Enjoy ta lecture /o/

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Goodman, 8h07, Samedi.

C'est drôle, parfois, il semble à Goodman que lorsque Louis rentre dans sa pension, les portes s'ouvrent toutes seules. Les dessins de Hyacinthe semblent représenter parfaitement ce que le monde va devenir, comment il va continuer à avancer. Les jumeaux Rightway la fascinent et l'effraient, elle ne connait pas leur histoire, mais ils ne sont pas venus ici parce qu'ils avaient la tête pleine de feu de joie et d'étoiles lumineuses. Comme pour chacun des jeunes qui vivent ici, elle leur cherche un passé, souvent un peu surnaturel, un peu fantasmé qui prend la forme d'un vague scénario dérisoire. Goodman est une gardienne assidue, qui connait chaque pièce de sa pension par cœur, les trajets de ses pensionnaires sur le bout des ongles, elle sait qui rentre, sort, découche. Elle est l'oeil de cet endroit, toujours fixé sur tout le monde, elle observe sans interruption ce qui se passe dans cette pension pour étudiants fauchés, comme pour trouver une distraction dans son ennui, être témoin d'une situation extraordinaire qui pourrait faire les grands titres des journaux locaux. Tout le monde change. C'est un constat universel qu'elle a établit au fil des années. Tout le monde, sauf les jumeaux. Louis est un fossile, un bloc d'argile, façonné ainsi pour l'éternité. Hyacinthe est muré dans l'adolescence. Seuls les habits changent. Ils deviennent de plus en plus extravagants, défient la morale et le bon goût comme un crachas à la gueule, transpirent de plus en plus son cynisme désabusé. Il incarne une mode faussement subversive, jouant sur les codes de genre, il possède des codes aux règles multiples et trop élaborées que lui seul comprend. Hyacinthe devient juste de plus en plus hautain, de plus en plus c'est extrême. C'est une gradation perpétuelle dans le même travers. Les jumeaux sont les mêmes en tout point. Ils ne bougent pas. Et Louis qui porte toujours les mêmes fringues, la même coupe, les mêmes lunettes est effrayant dans tout cela. Louis répète en permanence le même bal mécanique de sa vie monotone et fade, sans essayer d'y changer quoi que ce soit. Il ne rouille pas, ni ne faiblit, il reste stoïque. Pourtant, hier soir, il y a eu quelque chose de différent. Hier soir, Louis ne semblait plus être Louis. Comme s'il était possédé par quelqu'un d'autre que lui. On pouvait deviner au travers de ses lunettes qui obstruent ses yeux un regard glaçant et noir. Parce qu'il est revenu beaucoup trop tôt pour un vendredi. Et c'est la première fois qu'il fait ça. Une chose pareille ne lui ressemble pas, à lui qui est réglé comme une horloge. Les manches de sa blouse blanche puaient le sang séché qui avait commencé à noircir. Porter quelque chose d'aussi sale, ça non plus, ce n'est pas son genre.

Ce matin, elle le recroise dans le grand hall. Il sort de l'ascenseur en habit de ville, chose assez rare puisqu'il ne sort pratiquement jamais sans sa blouse blanche. Il porte un pantalon noir assez ample, des bottines marron et un pull à l'effigie d'Einstein qui pour une fois est à sa taille et lui tombe joliment sur les bras comme un voile mortuaire, et c'est vraiment élégant. Il a enroulé une écharpe en laine bordeaux autour de son cou, un sac à dos noir serré à son épaule. Dans son peignoir en soie pourpre, Goodman se surprend pour la première fois en bientôt dix ans à regarder Louis dans un objectif de séduction, et non par fascination effrayante sur sa présence insoutenable et tyrannique qui lui fait plier le genou et baisser la tête, même à elle, qui a connu bien des monstres au cours de son existence. Elle décide de l'accoster, de façon plus ou moins naturelle, intriguée par ce changement d'apparence notoire, au moment où elle se disait que lui seul ne changeait jamais vraiment.

« Tu es bien habillé, dis moi, Louis. Tu as un rendez-vous amoureux ? »

Louis s'arrête à la hauteur de Goodman, croise les bras, tente de la regarder dans les yeux, essaye tant bien que mal de ne pas soupirer de lassitude profonde. Sa logeuse le voit bien, elle n'est pas aveugle. Elle se demande si Louis est un être purement misanthrope qui ne supporte pas le dialogue ou une fracture immense, un blessé de la guerre du langage humain. Et plus elle essaye de comprendre, plus elle joue à l'assistante sociale ou à la psy avec Louis, plus elle se mange le mur douloureux de son silence à la limite du méprisant.

MOLOCHOù les histoires vivent. Découvrez maintenant