CHAPITRE TREIZE : ARDOISE

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Bien le bonjour ou le bonsoir et bienvenu dans le chapitre 13 de Moloch. Va y avoir enfin de l'action  donc gros TW gore, violence et sang sur ce chapitre. Hésitez pas à commenter, me dire ce que vous en pensez. Bonne lecture /o/

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Chapitre Treize : Ardoise

Hyacinthe, 10h00, Vendredi

Ma tête est un champ d'arbres déracinés, arrachés par la déflagration soudaine d'une bombe. Rien d'autre ne circule qu'une odeur de pourri, de cendre et d'insomnie notoire. Le café est plus ou moins vide, les gens sont repliés sur leur boisson, le dos voûté et les yeux hallucinés de fatigue et de boulots merdiques insupportables. Certains lisent le journal, sérieux et concentrés, d'autres s'indignent devant leur portable, ils échangent, crient, braillent, s'engueulent et s'aiment parfois, accoudés à leur table et je deviens figurant de leur histoire en leur resservant du café, dans un laps de temps restreint et défini. Je joue un rôle parfait d'automate désarticulé. Sauf que parfois, je pense à Hobbes. Ça laisse une trainée de poudre dans mon cerveau. Hobbes possède une essence particulière. Un truc inodore à l'origine qui en devient douloureux. Ça secoue mon cœur comme un séisme. Les meubles tremblent autour de moi. Le matin brille, pâle, exsangue, scalpé par une pluie timide mais glaciale. Au fond de mon vide intérieur, cette sensation terrible d'être une personne creuse, je réalise que mon sourire est un atout majeur. Mon atout majeur. Un ravage. Même si tout se termine, il me restera ça. Ça suffit à me distraire. Même pendant un moment très court. Les gens s'agitent dehors pour fuir la pluie. Ils viennent parfois s'abriter dans le café. Les conversations se mélangent et forment un brouhaha qui se diffuse jusque dans les cuisines. Il m'arrive d'oublier mon nom au cœur du bruit. Perdre son identité toute entière n'a jamais été aussi apaisant. J'attends la beauté de mon nom dans les lèvres d'un autre. La sensation est saisissante. Loin des complots de ma famille, je suis autre que le roi des cons. Ou bien on me pardonne de l'être. La nuance est minime. J'ignore où je vais noyé dans mes illusions. Le chaos s'est figé, l'espace d'un instant. Ce calme intérieur au milieu de tout ce son broie mes poumons, brise mes côtes. Je viens sans doute de frôler le paradis dont je suis le gardien. Là, dans mon hérésie, quelque chose se transforme. Ça enfle dans mon crâne et je perds toute visibilité objective. Hobbes est un nouveau départ sans bouger son cul de sa chaise. Le monde pulse comme en pleine nuit. Je suis un animal diurne obligé de vivre le jour. C'est comme si j'avais trouvé le cœur de ma solitude maladive et que je l'avais dévoré en un instant. À la fois heureux et tétanisé, je m'aventure dans ce terrain inconnu comme on teste une nouvelle drogue surpuissante. Avec envie, espoir et appréhension. Dans l'attente ultime de quelque chose d'extraordinaire. Hobbes est un sujet de philosophie sans l'angoisse qu'il peut susciter : trop grand et absolu pour le commun des mortels, mais absolument reposant, une quiétude inattendue.

Et pourtant, j'ai déjà utilisé mon psyché sur lui pour effacer mes conneries. Hobbes, on doit pas l'emmener dans des endroits aussi sombres que les établissements d'Ange. Faut lui faire découvrir des endroits doux. Il est pas fait pour la violence, Hobbes. Il est pas prêt à ce genre de violence. Celle qui est choisie avec toute l'intelligence sadique dont peuvent faire preuve les êtres humains. La violence de la gratuité et de l'arbitraire mélangée à celle du monde en elle-même, la violence inhérente à la société occidentale. Il faut pas montrer ça à Hobbes. Pas que ça le détruirait ni que ça ferait s'effondrer ses croyances et ses principes. Mais une part de sa pureté se briserait en morceaux et je refuse d'assister à ça. Alors je n'ai pas eu le choix. Oui, je sais, on a toujours le choix. Enfin, c'est ce que disait Sartre avec tout son bla bla sur la responsabilité qu'incombe notre libre arbitre. Mais la réalité, c'est qu'on n'a jamais vraiment le choix. Et qu'on n'est pas vraiment libres non plus. On est juste des âmes malléables soumises à nos émotions diverses qu'on ne comprend pas forcément, qu'on n'anticipe pas forcément non plus. Le libre arbitre est une vaste blague dans un monde connecté et capitaliste. Chaque pensée est moulée dans un écrin fixe. Il arrive, rarement, que l'on puisse la modifier. Mais cette forme initiale revient toujours. Et plus on tente de s'en libérer, plus elle nous emprisonne. Louis et Ange ont tenté de s'en sortir, hors de ce moule. Pour ce que ça a donné, ça ne vaut pas le coup d'essayer. Ils incarnent désormais des espèces de contre-façons d'eux-mêmes. Hobbes a sans doute réussi ce pari avec lui-même dans un sens. Sortir du moule à tout prix, pour sa propre survie. Peut-être qu'il y a des exceptions. Peut-être que je suis trop empoisonné par le déterminisme imposé par ma famille. Ou peut-être encore que ce n'est qu'une excuse bidon pour ne rien avoir à me reprocher. Au fond, la réponse importe peu. Je crois à cette théorie comme on idolâtre Dieu. Il faut bien des croyances en ce monde pour y survivre. C'est là le véritable fondement des concepts dans un sens. Je pense comme je parle. C'est infect.

MOLOCHOù les histoires vivent. Découvrez maintenant