CHAPITRE TROIS : REPARER LES VIVANTS

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Yo, avec une semaine de retard, voici le troisième chapitre de Moloch. On repart sur un POV de Hyacinthe, TW sexe à prévoir. En espérant que ça vous plaira. Enjoy /o/


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Hyacinthe, 13h34, Vendredi.

Je ne sais pas trop quand tout ça a commencé. Mais un jour, j'ai juste senti mes mots mourir dans ma gorge. Sous la colère, parfois, quand je suis chanceux, l'amas de lettres et de sons qu'ils formaient, se mettent à exploser. J'ai connu des gens qui coloraient le monde rien qu'en existant. Et d'une manière un peu niaise, j'y croyais, au fond, que des gens puissent réellement faire ça. Aujourd'hui, il fait si beau, tout le monde est sorti, la ville semble rugir, les gens s'abritent sous le soleil, ils fuient l'ombre, on a même garé les voitures, pour une fois. C'est le début de l'automne, mais tout a un air d'été. Et pour dire la vérité, ça me déprime. Je ne vois pas l'intérêt d'un automne qui ne ressemble pas à l'automne. Dans le lit de Gania, mon voisin de palier, le manteau de Louis sur mes épaules, je regarde la ville comme si je ne m'y trouvais pas réellement. Une note de trompette d'un vieux morceau de jazz remplit l'appartement. C'est comme si on allait mourir dans une minute. Comme si Gania voulait que ce soit le dernier son que je puisse entendre avant d'être anéanti de manière définitive. Le ciel semble s'abaisser jusqu'aux lampadaires. Ce sont les étoiles des plus pitoyables des êtres humains. Gania virevolte entre ses livres. Il passe sa vie dans des livres. Je suis presque sûr qu'il se prend pour un personnage de roman. Parfois, je me demande pourquoi on se côtoie, pourquoi on se fréquente, pourquoi lui et moi on fait sembler de s'aimer. Ça ne me ressemble pas de penser ça. En fait, rien ne me ressemble. Je ne me reconnais nulle part. Si bien que je finis par n'être personne. C'est drôle, la façon dont marche les êtres vivants. Ils se débattent comme un poisson dans une flaque d'eau. Ils savent très bien qu'il serait plus facile d'arrêter de respirer, parce qu'on ne peut pas respirer, que c'est trop douloureux. Mais ils se débattent malgré tout. Même si ça ne sert à rien. Même si ce n'est même pas pour rejoindre l'océan. Ils se débattent juste pour la beauté du geste. C'est plutôt ridicule. Il est une heure de l'après-midi passée. Je n'ai aucune idée de quoi faire de mon existence. Il m'arrive des jours où je n'ai même pas la force de chercher. Je subis la pensée. Les questions. Et j'ai simplement décidé d'en avoir rien à faire. Je ne sais même plus ce que je fous dans cette piaule. Peut-être que Gania a la réponse. Il faudrait lui demander. Flemme. Un autre jour peut-être. Ce n'est pas si important dans le fond. Mais si tout arrive pour une raison, celui ou celle qui orchestre tout ça doit sacrément s'ennuyer dans sa vie. À trouver une cause pour chaque effet, chaque action. Ça doit être fatiguant. Alors qu'au fond c'est pas si important. Non, c'est pas si important. Ça sert à rien d'expliquer les actions des gens, pourquoi ils les font, quelle force les a incliné à poursuivre ce dessein précisément sur les milliards d'autres possibilités qui définissent leur vie. Ça reviendrait à dire que tout n'est qu'une trame scénaristique permanente. Et que la liberté est toujours aussi illusoire, qu'on donne juste des excuses à la machine du monde qui programme sans créer, qui écrit sans trop y penser. N'est-ce pas, Leibniz ? En fait, la liberté, tu n'y crois pas. Qui t'essayes de convaincre avec tout ça ? Pauvre tocard.

« Ça va, Hyacinthe ? Tu parles pas beaucoup depuis tout à l'heure. »

Si je parle beaucoup, mais tu n'écoutes pas. Tu vas me dire, Gania, que je ne t'écoute pas non plus. Et tu aurais raison. Alors c'est une juste une part des choses nécessaire pour continuer cette entente sordide. On beugle, on entend, mais on n'écoute pas. Quelle perte de temps ce serait, après tout. Il y a dans les paramètres de ce monde un manque de communication incroyable. Fallait-il vraiment ça pour créer le meilleur des mondes, comme tu le disais, Leibniz ? Tu pensais pas que tous les crevards sans vie se serviraient de ça comme excuse pour donner un sens à leur existence médiocre ? Je suis triste, seul et pauvre, mais c'est pas grave, il fallait ça pour créer le meilleur des mondes. Oh, j'ai tué mon épouse à coups de poings dans le thorax, mais après tout, il fallait ça pour créer le meilleur des mondes. Parce que tout est une question de permission du mal quand on veut profiter du bien. C'est ridicule. Actuellement, une seule phrase tourne en boucle dans ma tête. Enfin, c'est plutôt une succession de mots, un cadavre exquis. Tondeuse à oiseaux. Ça sonne si bien. Il faudrait inventer ça. Gania a allumé une cigarette, il ressemble à Louis quand il fume, ça en devient plutôt gênant, cette façon qu'il a d'imiter mon frère. En plus, je sais pas ce qu'il fume, mais ça m'étouffe. Un peu comme les choix que j'ai jamais fait. Et ceux que j'ai pris qui sont probablement les mauvais. Même si je regarde pas derrière moi, ça me prend à la gorge. Même quand j'y pense pas. Au fond, ça ne part jamais. C'est une déception permanente. Gania parle. Ses lèvres s'agitent. Je fais même pas l'effort d'écouter. Ça ne m'intéresse pas. Trop occupé à chercher un esprit révolté dans mon esprit de nihiliste. Tondeuse à oiseaux. Le morceau de trompette s'est arrêté. On dirait que tout repasse en boucle. Que ça fait cent ans que Gania fume cette cigarette qu'il vient d'allumer. Je comprends rien à cette manière vicieuse qu'a le monde de tourner.

MOLOCHOù les histoires vivent. Découvrez maintenant