Chapitre Deux : Les Femmes qui Veillent

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Hey hey hey et bienvenue dans ce deuxième chapitre de Moloch, beaucoup plus court que le premier. On reste dans un délire de scène d'exposition donc pour le moment il se passe pas encore grand chose. J'espère que ça va vous plaire quand même. Bonne lecture /o/

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Aravane, 10h34, Vendredi.

Aravane vient de teindre ses cheveux en vert et de les couper au bol. Elle ressemble à une chanteuse dans un girl band japonais. Elle revêt sa blouse d'infirmière comme une combinaison d'astronaute, elle se plait à s'imaginer héroïne du quotidien. Aravane est amoureuse d'un interne de son service, c'est devenu sa principale motivation pour venir travailler au milieu des odeurs de vomis et d'urine, des insultes, des cris et parfois de la mort. Ce matin, elle l'attend, elle a passé la nuit avec lui hier soir, enfin, aux urgences, mais elle se refuse de rajouter le lieu, comme pour maintenir dans ses fantasmes cette éventualité inexistante qu'elle aurait pu passer la nuit avec Louis Rightway, futur neuro-chirurgien, premier de sa promo, distant, pas très bavard, absent de toutes préoccupations sexuelles ou amoureuses. C'est un amour étrange né d'un ancien mépris qui grandit encore et encore, quand bien même lui, de son côté, se préoccupe à peine de sa présence. Aravane se dit parfois que Louis s'ennuie, qu'il attend quelqu'un sans en avoir la profonde conviction, sans en avoir conscience, et alors, elle s'attache de plus en plus dans ses pensées qu'elle lui invente, et qu'il n'a sans doute même pas. Elle se demande ce qui se cache derrière ses lunettes, de quelle couleur sont ses yeux, sont-ils ternes ou lumineux, remplis d'espoir ou profondément vides, rieurs ou tristes ? L'idée de savoir qui il est l'obsède. Ça la bouleverse. Parce qu'elle ignore tout de cet homme, quand bien même, Louis Rightway est son voisin de palier, qu'elle a mille et une occasions de lui parler. Mais elle a la trouille, Aravane, la trouille de se planter, de paraître incroyablement stupide en face de cet homme aussi intelligent qu'elle admire. Alors, elle a toujours un regard très tacite qui veille sur lui, sachant pertinemment que Louis se débrouille seul, qu'il avance seul et qu'il n'a besoin d'aucun regard compatissant, d'aucune sorte d'attachement compulsif de la part de gens qu'il remarque à peine.

Dans la tête d'Aravane, Louis est une image fantasmée. Un héros de comédie romantique, celui qui recueille les chatons abandonnés sous la pluie, qui cache derrière sa froideur un être attentionné, doux, adorable, incroyablement gentil. Enfermée dans son illusion, elle confond maladresse et indifférence, timidité et mépris. Elle se persuade que Louis est paumé, le genre de pauvre gars qui attend patiemment qu'on vienne lui prendre la main, pendant qu'il attend un miracle, seul et triste, sur un trottoir sale, une clope suspendue entre ses lèvres qu'elle rêve d'embrasser. Mais Louis n'est pas un rêveur. En fait, Louis n'attend plus rien ni des autres, ni du monde et encore moins de lui-même. Aravane ne voit pas la torpeur qui l'entoure, même si elle en distingue la solitude, la souffrance, les larmes rongées par ses verres de lunettes. Elle rêve chaque nuit de lui faire l'amour, encore et encore, jusqu'à lui couper le souffle, entendre sa voix, pouvoir le regarder dans les yeux, sentir son cœur battre à côté du sien. Mais elle pige pas, Aravane. Elle pige pas. Que Louis n'est qu'un programme informatique. Il avance droit, personne ne peut le faire dévier de sa trajectoire. Louis ne ressent pas, Louis n'exprime pas. Elle pige pas ce que ça veut vraiment dire. Elle le transforme en héros de roman pour jeunes filles un peu niaises, parce qu'on l'a éduqué à croire à ces idées-là, rongée par sa condition de femme dans un monde dominé par les hommes, des hommes comme Louis, sans éthique, sans morale autre que leurs propres convictions qu'ils remettent rarement en question, tellement persuadés qu'ils ont raison et le reste tort. Mais Louis est si beau dans la tête d'Aravane, si seulement il pouvait se voir à travers le prisme de son regard, il tomberait raide dingue de lui. Sauf que Louis ne voit pas. Louis la blesse, chaque jour, la rejette, de plus en plus fort. Sans colère, sans énervement. Mais il la rejette. Il ne comprend pas l'amour, comment on peut aimer les gens, ça ne rentre pas dans son algorithme. Comment l'atteindre, comment lui parler sans passer pour une idiote. Voilà autour de quoi tourne la vie d'Aravane. Louis le sait. Et il trouve ça pathétique. L'amour, l'amour. Ça sert à rien. Dans sa famille on se tranche la gorge pour ça, dans sa famille on se tranche la gorge pour ça. Ça sert à rien, l'amour, à rien, tellement à rien. Pourquoi il devrait ressentir ça ? Ça lui apporterait quoi ? Dans ma famille, on se tranche la gorge pour ça, dans ma famille, l'amour ça vous flingue le cerveau. Pourquoi prendre un tel risque ?

MOLOCHOù les histoires vivent. Découvrez maintenant