Histoire 4 : Eté 1785

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Mes pieds me font mal, j'ai quitté la réception en courant et je ne me suis plus arrêté depuis. Traverser l'allée pour rejoindre le parc prenait plus de temps que je ne le pensais. Mes gants en dentelles serrent fort le tissu de ma robe afin qu'elle ne passe pas entre mes pieds, si je finissais par tomber, ce bal serait de loin le pire de mon existence. Lorsque je suis assez loin, je m'arrête pour reprendre mon souffle, si seulement Maman n'avait pas serré aussi fort mon corset, j'aurais repris mon souffle depuis bien des minutes. Je vérifie de ne pas avoir été suivi, si c'était le cas je devrais me remettre à courir mais je ne sais pas si j'en serait physiquement capable. J'aperçois un banc au loin et me dirige vers celui-ci pour me reposer. En m'asseyant je fais bien attention à ne pas abîmer ma belle robe, Maman m'en voudrais terriblement. Je pose ma tête contre les paumes de mes mains, comment la soirée a pu prendre cette tournure ? Papa a pris des décisions me concernant sans me concerter, voilà comment. Ce n'est pas possible. Je regarde le bracelet autour de mon bras et il me semble si lourd, si imposant, je le retire et il émet un petit bruit quand il tombe sur le banc en pierre. Je ne me sens pas plus légère, j'ai toujours ce sentiment d'impuissance, je suis rongée par mes sentiments, par la vie que l'on m'impose, je ne peux pas vivre ainsi. Je lève la tête pour contempler le ciel étoilé ou chercher une réponse.

-Vous êtes là !

Je laisse échapper un cri de surprise et me relève instinctivement. Son visage familier me rassure autant qu'il m'effraie.

-Comment m'avez-vous trouvé ?

-Je vous connais Madame, je sais que le jardin est toujours votre échappatoire.

-Pourquoi m'avez-vous suivi ?

-Vous le savez Madame.

-En effet, mais je veux vous entendre le dire.

-Je ne peux vous laissez faire cette erreur.

-Je n'ai pas le choix Monsieur.

-Vous l'avez toujours eu, sauf votre respect Madame.

-Même si l'envie de passer le restant de mes jours auprès de vous est mon vœu le plus cher, je ne le peux...

Je me détourne de Anthony, tentant de cacher mon visage de peur qu'il aperçoive mes larmes.

-Nous pouvons réussir à passer cette épreuve.

-Non, j'ai peur que nous ne puissions pas.

-Madame...

-Monsieur Clark...

-Ne faites pas ça, vous avez promis de toujours m'appeler Anthony.

-C'était il y a longtemps, quand nos familles ne se haïssaient pas.

-Vous ne pensez pas, une seule seconde, que notre amour pourrait vaincre cette querelle ?

-J'aimerais, et vous savez, tout comme moi, que cette pensée est constamment dans mon esprit, mais j'ai bien peur que c'est ce qu'elle soit, une pensée.

-Les querelles se finissent tôt ou tard.

-Si elles se finissent tôt, c'est que l'un des camps est vaincu, et si elles se finissent tard, c'est car la mort les as rattrapé, quoi qu'il en soit le destin en est tragique.

-Fermez les yeux.

-Comment ?

Je n'ai pas envie de perdre mon temps avec ses jeux, plus maintenant.

-Si c'est notre dernier instant ensemble, mon dernier souvenir à vos côtés, je ne veux pas me rappeler de vos larmes de tristesse. S'il vous plaît Emilie.

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