Histoire 29 : Le gout du vent

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Chaque fois que le vent se levait dans les rues de Paris, Marine sentait cette étrange sensation monter en elle, un mélange doux-amer qu'elle n'arrivait jamais tout à fait à nommer. Ce n'était pas de la tristesse, ni vraiment de la nostalgie. C'était une présence fantôme qui flottait autour d'elle, légère, insaisissable, mais là, toujours.

Il y avait eu un été, des années auparavant. Elle et Noah s'étaient rencontrés par hasard, un soir où tout semblait lointain. La chaleur de la ville était étouffante, et ils avaient passé des heures à marcher, à rire, à se perdre dans les petites ruelles, s'arrêtant de temps à autre pour sentir l'air frais. Avec lui, tout paraissait si facile, comme si le monde avait ralenti juste pour leur laisser un peu de temps. 

Ils parlaient d'un avenir, de projets communs et de cette envie de vieillir ensemble. Pourtant, avec le temps, ces discussions se faisaient plus rares, plus évasives. Peut-être savaient-ils, au fond, que leur histoire n'était qu'un moment suspendu. Une parenthèse.

Un soir, en plein cœur de l'été, alors que le vent chaud soufflait à travers les arbres du parc, ils s'étaient assis sur un banc. Le silence entre eux n'était pas lourd, mais plutôt rempli de tout ce qu'ils ne disaient pas. Marine se souvenait encore de ce silence comme d'une mélodie dont l'on ne se souvient plus. Noah lui avait pris la main, mais cette fois-là, il n'y avait pas de sentiments dans son geste. Ils s'étaient regardés, et elle avait su. Le lendemain, il serait parti.

Les mois sont passés, puis les années. 

Elle avait aimé d'autres hommes, connu d'autres moments de bonheur, mais il y avait quelque chose chez Noah qui ne la quittait jamais tout à fait. Ce n'était pas qu'elle l'aimait encore, non. C'était autre chose, une impression qui restait, semblable à ce vent tiède d'été qui souffle, caresse la peau, puis disparaît sans qu'on puisse le retenir.

Parfois, Marine se demandait pourquoi leur histoire l'avait tant marquée. Ils n'avaient pas été ensemble très longtemps, et ils n'avaient pas partagé tant de choses ensemble, si ce n'est des mots tendres. Mais c'était peut-être ça, justement. 

La simplicité. 

L'évidence de leur rencontre. La présence d'un amour qui existait juste pour être vécu, dans l'instant. Sans plus.

Maintenant, à chaque bourrasque qui effleurait son visage, elle sentait ce goût si particulier revenir. Pas celui de la perte, ni même du regret, mais celui d'une époque qui s'était envolée, comme un souffle, et qui avait laissé derrière elle un parfum inoubliable. 

Un parfum qu'elle ne chercherait jamais à retrouver, mais qui reviendrait, à sa manière, la surprendre au détour d'une rue ou d'une promenade, dans les murmures du vent.

Le temps avait fait son œuvre, polissant les contours de ses souvenirs comme la mer lisse les pierres. 

Marine ne cherchait pas à retrouver Noah. Elle ne se demandait pas où il était, ni ce qu'il faisait. C'était comme s'il appartenait à une autre version d'elle-même, une version révolue qu'elle regardait de loin, avec tendresse mais sans désir de retour.

Elle avait souvent imaginé, par jeu, ce qu'ils se diraient s'ils se croisaient un jour. Peut-être échangeraient-ils un sourire gêné, un de ces sourires qui contiennent tout ce qu'on ne dit plus, à moins que ce sourire ne mène sur une discussion. Ou peut-être passeraient-ils sans même se reconnaître, chacun absorbé dans la vie qu'il avait bâtie loin de l'autre. Mais ce scénario restait dans un territoire que Marine n'avait pas l'envie de visiter.

Un après-midi d'automne, alors qu'elle traversait le Pont des Arts, elle sentit à nouveau ce vent familier, mais cette fois, il était plus froid, chargé des premières brumes de l'hiver. Ses pensées vagabondaient, comme toujours, entre le présent et ce passé qui revenait, lorsque quelque chose attira son attention.

Un homme, de l'autre côté du pont, se tenait là, observant la Seine. Sa silhouette avait quelque chose de familier. 

Elle ralentit, son cœur battant un peu plus vite sans qu'elle sache vraiment pourquoi. Le vent semblait s'être figé autour d'elle, comme si le temps retenait son souffle.

Ce n'était pas Noah. 

Elle le savait dès qu'elle aperçut le visage de l'homme. Mais l'espace d'une seconde, l'idée lui avait effleuré l'esprit. Elle se sentit stupide, presque embarrassée par sa propre réaction.

Elle continua à marcher, dépassant l'homme sans un regard en arrière. Ce n'était pas lui. Peut-être que ce n'était pas Noah qu'elle avait cherché à voir, mais ce que cet homme représentait : le souvenir d'une époque, la douceur d'un amour éphémère, et cette sensation d'incomplétude qui, loin de la blesser, lui rappelait que certains moments de la vie n'étaient pas faits pour durer. 

Ils étaient faits pour marquer.

Alors qu'elle atteignait l'autre rive, Marine prit une profonde inspiration. Le vent s'était levé à nouveau, plus fort cette fois, s'engouffrant dans son manteau et jouant avec ses long cheveux. Et elle réalisa enfin quelle était cette sensation qui la hantait depuis tant d'années : 

c'était la liberté. 

Celle de n'avoir rien à regretter, rien à attendre, d'avoir vécu un amour particulier, détaché de tout, qui, dans sa fragilité, avait laissé en elle une empreinte indélébile.

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