Histoire 5 : A jamais

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Le vent fait voler mes cheveux et le vide m'attire encore. Mon corset m'empêche de respirer et pourtant le balcon me permet de prendre autant d'air dont mon corps a besoin, mais je n'y arrive pas. Je pose mes mains sur la balustrade devant moi pour soutenir mon corps fatigué. Je sens mon buste qui se soulève de plus en plus fort pour chercher à respirer, en vain. Mes yeux se posent sur les graviers trois étages plus bas. Je relève la tête pour observer mon jardin, il est si sombre, le soleil a décidé de l'abandonner et la peur s'empare de moi car c'est ce qu'il vient de m'arriver, on m'a retiré le peu de lumière qu'il me restait. Mes yeux viennent de nouveau se poser sur le sol, le vide m'appelle et je sens mon corps s'approcher dangereusement de la balustrade. Mon bassin rencontre la pierre marbrée et mes larmes viennent s'écrouler sur mes mains toujours posées sur celui-ci. Mes yeux fixent toujours le vide alors que je tente, malgré cette énorme robe qui me dérange, de passer par-dessus la pierre du balcon. Je suis maintenant assise dessus, mes pieds sont dans le vide, que suis-je censé faire, sauter ? Me laisser tomber en avant ? Me mettre debout ou rester assise ? Quel choc me tuera en premier ? Je n'ai pas le temps de réfléchir plus car une voix résonne derrière moi. Eloïse...

Cinq heures plus tôt. 

-"Lundi 3 Mai 1803, comme vous le savez, cher(e)s lecteur(trice)s, le bal annuel de Lady Hanford se déroulera cette soirée dans sa belle demeure afin de nous divertir. Comme à son habitude, la maîtresse de maison saura convier les meilleures familles de la société, je n'en doute pas. Quant au code vestimentaire, celle-ci a bien insisté sur les tenues de saison, laissez donc les fleurs envahir vos plus beaux habits car elle ne tolérera pas un hors sujet de votre part. Lady Carson, sa voisine, a laissé courir des rumeurs concernant les enfants de Lady Hanford, en effet sa petite famille commence à grandir et entrer dans la société mondaine. J'ai pour information que le beau Julien, le frère aîné aurait peut-être trouvé sa cavalière pour la soirée, ou pour la vie ? Quand a la belle Emma, elle aurait été vu accompagnée dans les jardins ce midi même mais je ne pourrais vous dire de quel(le) personne... Les six enfants seront présents ce soir ne vous inquiétez pas, vous y trouverez plaisir et amusement en leur compagnie. Bien qu'Emma et les gentleman ne s'entendent pas très bien..."

-Stoppez cette mascarade Cléa par pitié. 

Je ne peux plus supporter la lecture de ma petite sœur, le journal raconte des absurdités que je ne peux comprendre. Pourquoi porter tant d'intérêt a notre famille et notre stupide bal ?!

-Mais... Emma...

-S'il te plait, tu peux très bien le lire dans ta tête, je ne veux pas en entendre plus. 

-Tu râles pour la simple et bonne raison que tu n'apprécie pas qu'elle parle de ta balade dans le jardin avec Eloïse. 

-Comment ?!

Je me lève du sofa plus violemment que je l'aurais voulu et ma voix se brise. 

-Je ne suis pas idiote Emma.

-Je n'ai jamais insinué une telle chose Cléa, mais de quoi parles tu ? 

Ma sœur, plus jeune de six ans, se décide à fermer le journal et ses yeux verts se posent finalement sur moi. 

-Je t'observe, je sais ce qu'il se passe bien que je ne comprenne pas vraiment. 

-Que penses-tu comprendre ? 

-Je vois bien comment Eloïse et toi vous vous regardez, et je vois bien comment tu regardes les hommes, je n'y connais pas grand chose en relations humaines chère sœur mais je reconnais l'amitié et je la différencie facilement de l'amour. 

-Je ne comprends pas de quoi tu parles.

Je tourne en rond, le regard baissé, mordant mon pouce a m'en arraché la peau. Je suis immobilisé par les bras de ma sœur qui entour mon corps. Elle pose sa tête contre moi et me tient fort contre elle. Comment une jeune de quinze ans a-t-elle pu comprendre ce qu'il se passait alors que ma propre mère et le reste de ma famille n'ont rien remarqué. 

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