[ni morte ni connue — mansfield.tya]

les jours qui suivirent la nuit où j'avais déchiré la lettre furent douloureux et m'amochèrent férocement. je ne sortis pas pendant plusieurs jours et mentis à aramis, lui disant que j'allais en cours. il semblait ne se douter de rien et puis nous nous appelions de moins en moins alors cela avait le mérite d'être clair. j'étais en colère contre lui et cette sensation de rage qui s'infiltrait partout en moi ne me quittait plus. je me sentais possédé et la seule chose que j'aurai voulu c'est qu'il s'en rende compte. m'aimait-il encore ?

mais malgré tout, il me manquait, avec une passion que je ne connaissais plus, que nous ne partagions plus. et l'amertume de nos instants fugaces se glissa dans mes larmes. oh oui, je pleurais. qui pourrait bien le savoir ? je ne le dirai jamais à personne et personne ne le devinera jamais. il ne remarquera jamais les traces de ses larmes pourtant rougies par le sang de mon cœur.

j'étais meurtri, mes chairs resteraient à jamais marquées au fer rouge, j'en avais conscience. mais je m'en fichais éperdument. j'étais amoureux et donc malheureux. l'amour, cette exclamation féroce qui me terrassait depuis des jours. pourquoi donc étais-je si faible ?

j'aurai voulu revoir le soleil au moins une fois, pourquoi donc fallait-il que je sombre aujourd'hui ? je ne voulais plus pleurer, en étais-je encore même capable ? le temps était gris, le ciel brouillé par les nuages et j'essayai tant bien que mal de distinguer ne serait-ce qu'un soupçon d'étoile. aramis adorait les étoiles. lors de la soirée que nous avons passé ensemble il y a plus de deux ans, il m'avait expliqué que pour lui, les étoiles nous représentaient. alors depuis, chaque soir nous tentions de les attraper du regard depuis le balcon de mon appartement. mais paris, la ville des lumières ne laissait jamais la place pour les étoiles.

souvent, après cette constatation aramis était triste ; il regrettait les étoiles. je le faisais donc rentrer dans l'appartement, veillant à laisser la porte fenêtre légèrement ouverte, peu importe la saison, et prenait des pinceaux pour étaler les étoiles sur sa peau. au début, il me laissait le déshabiller et puis au fur et à mesure il se mit à le faire tout seul, sans même prendre le temps de regarder les étoiles avant. c'était dès qu'il était triste. et peu à peu la peinture se transforma en maquillage et nous nous retrouvâmes bien vite à déambuler dans les rues, sous la lune, avec des étoiles sur les joues.

et, ainsi seul sur ce même balcon un frisson me parcourut de toutes parts. les poils sur mes avants bras s'hérissèrent et je les caressai du bout du doigt, comme impressionné. que faisais-je en t-shirt sur ce balcon sinistre en plein mois de décembre ? et au bout de quelques minutes sans trouver de réponse je vins la conclusion que j'étais probablement fou. mais qu'importe, cela n'avait plus la moindre importance et j'en avais parfaitement conscience.

je me perdis peu à peu dans le noir du ciel et ses dérives les plus sombres. et, sans même savoir comment, je commençai à me demander si le noir avait une ombre. si c'était le cas, était-elle maléfique ou sauvait-elle des décombres ? je tournai la tête, cherchant ma propre ombre partout autour de moi. mais aucune source de lumière ne voulait me voir et mon ombre resta prisonnière des lueurs ténébreuses. j'étais seul.

et, au beau milieu de ma torpeur nocturne, je pris, sans réfléchir, mon téléphone d'une main tremblante et allai sur ma conversation avec aramis. j'inspirai profondément et savourai l'air entrant dans mes poumons. pourquoi n'y avait-il que dans la douleur que je me sentais vivant ? mais je chassai cette pensée existentielle et mes doigts firent seuls ce que mon esprit s'était interdit depuis longtemps. je déclenchai le début de l'enregistrement d'un message vocal et laissai passer un peu de silence. finalement, qu'avais-je à dire ?

et cela me vint, comme une étincelle mettant le feu à la poudre, une goutte faisant déborder le vase. mes mots se débloquèrent et je les sentis grandir dans ma gorge. ils envahirent mes entrailles comme un souffle enivrant qui referma toutes mes entailles. je me lançai enfin, à moitié noyé sous la puissance de mes sentiments.

— « bon alors. euh. j'ai laissé le silence planer parce que je ne savais pas quoi dire, mais j'ai senti une force en moi. je pense que ce sont mes mots. ça me paraît bizarre parce que la seconde d'avant je me demandais si j'avais quelque chose à dire finalement. en fait, il s'avère que j'ai beaucoup de choses à dire. euh. je sais pas trop par où commencer, je suis désolé. devine où je suis. »

j'attendis une ou deux secondes, laissant volontairement le temps faire les choses, car lui aussi était doué pour réparer les dégâts. et, après avoir jeter un regard au ciel, je repris :

« je suis sur le balcon, je cherche les étoiles et j'ai l'espoir vain que tu fasses la même chose en ce moment toi aussi. depuis que tu es parti, il manque une étoile à ma vie, il manque une étincelle de chaleur dans tout mon corps. tu me crois si je te dis que je suis en t-shirt sur le balcon ? j'ai même envie de me mettre torse nu. ça t'est déjà arrivé de penser que tu as froid mais de ne pourtant pas ressentir les fêlures du vent frais ? je me sens hors du temps, intouchable et hors de contrôle aussi. je crois que j'ai trop bu. eh aramis, tu me pardonnes ? »

j'arrêtai le message ici et enlevai mon t-shirt. je le fis tourner de ma tête tout en fredonnant un air hasardeux. puis je le suspendis au dessus du vide et le fis tournoyer dans les poussières de l'air. enfin, lassé du manège, dans un soupçon doucereux et l'allégresse du sursaut je laissai tomber le tissu. mon regard le suivit pendant un bref instant et je me surpris de trouver sa chute hypnotisante. ensuite je repris mon monologue là où je l'avais laissé :

« je suis torse nu maintenant, j'ai jeté mon t-shirt par dessus le balcon. je balance mes yeux sur ma peau, sur mon torse recouvert de frissons et je vois nettement tes mains. oh oui, tes mains douces et lisses qui glissent sur la froideur de mon torse. je sens tes doigts effleurer mon épiderme éperdue, cela fait comme une pulsation frénétique de deux corps électriques. tu manques même à mon corps. si c'est pas dingue, si c'est pas une preuve que tu es mon premier et unique amour et bien je ne sais pas ce que c'est. je dis n'importe quoi désolé. il est tard, j'ai froid, j'ai bu et j'ai un chagrin d'amour immense au fond du cœur. bonne nuit aramis. nous sommes des étoiles ne l'oublie jamais. »

j'arrêtai alors d'enregistrer ma voix mais pourtant je continuai à parler ; les maux dans ma tête ne cessèrent pas de cracher leur détresse. je levai les yeux une dernière fois et tentait avec lassitude d'apercevoir une étoile filer.

les mots du bout des lèvres Où les histoires vivent. Découvrez maintenant