[cornaline — måneskin]

marcellin vint prendre de mes nouvelles un peu plus tard dans la journée. il eut l'air soulagé de me voir plus vigoureux que les jours précédents et me demanda si aramis était passé. il lu la réponse dans la tristesse dégoulinant sur mon visage. il secoua doucement la tête et posa une main rassurante sur mon épaule.

— « je peux te faire un câlin ? » me demanda-t-il avec une petite innocente feinte. j'en fus touché.

comment pouvais-je refuser ? je lui posai la question ; il ne savait pas. alors il se pencha vers moi tandis que je me redressai légèrement et nos corps se percutèrent au ralenti. je ne sentis quasiment pas le choc de ce corps nouveau, ce corps que je devais apprendre à apprivoiser et à comprendre pendant quelques secondes. mes mains glissèrent d'elles-mêmes le long de son dos et je le serrai contre moi avec force. j'eus peur de lui faire mal ou que mon geste lui parûsse déplacé alors je le lâchai vite.

il s'assit ensuite sur la chaise où était aramis quelques heures plus tôt. il me demanda comment je me sentais. je repondis vaguement ; qu'avais-je réellement à répondre à ça ? je venais de faire un coma éthylique, comment pouvais-je aller bien ? mais peut-être que marcellin ne voulait pas que je lui dise que j'allais bien. peut-être même qu'il me demandait ça pour que je lui dise que j'allais mal. était-ce pour ça que l'on demandait à n'importe qui son état, pour savoir s'il ne va pas mal ? pour lui proposer son aide en cas de mal être, d'état d'âme et de blizzard ? mais dans ce cas, pourquoi n'étais-je pas capable de dire clairement que j'allais mal ? pourquoi personne ne l'était ?

— « j'ai pas eu trop l'occasion de vous le dire, à toi et à manoé — je lui dirai plus tard d'ailleurs — mais merci beaucoup. c'est vraiment gentil tout ce que vous faites pour moi. je vous suis très reconnaissant, vous ne me devez rien et pourtant vous m'aidez comme si vous me deviez tout. je suis désolé pour toutes mes conneries », lui lançai avec un soupçon d'angoisse dans la voix.

il sourit et me répondit à la seconde près :

— « tu sais, tu as fait bien plus pour moi que tout ce que j'ai pu faire pour toi. tu m'as évité de dormir dans la rue pendant plusieurs nuits. et je te suis très reconnaissant pour ça. »

je tiquai ; comment ça plusieurs nuits ? un franc et large sourire s'afficha alors sur son visage et il m'expliqua avec avidité qu'il avait un peu parlé avec aramis à son arrivée et il lui avait proposé de dormir à l'apart. je fus heureux d'apprendre qu'il lui avait dit de rester, cela me dit plaisir. je repensai soudain à notre conversation de ce matin, si seulement je pouvais revenir en arrière. je voulais retrouver la stabilité de notre relation et l'amour sincère que nous nous portions auparavant. mais était-il vraiment parti ? je ne pouvais pas me résoudre à croire cela en sachant aramis chez moi, chez nous, à m'attendre. mais m'attendait-il ?

« j'ai beaucoup parlé avec aramis depuis deux jours, il a l'air adorable. tu sais, tu comptes beaucoup pour lui et il a tellement peur que tu te fasses encore du mal qu'il n'arrive même plus à se convaincre que tu ne le fais pas. du moins pas volontairement et encore moins dans le but de rencontrer la mort, n'est-ce pas ? » reprit un peu plus timidement marcellin.

il insista légèrement sur le n'est-ce pas et j'essayai de me contrôler pour ne ressentir que l'inquiétude dans sa voix et non pas l'appréhension. mais, au fond, n'était-ce pas la même chose ? les gens s'inquiétaient-ils donc autant pour moi ? méritais-je leurs états d'âme ? cela tournait en boucle dans mon esprit, comme une chanson entêtante. je secouai la tête dans un geste subtile et répondis à marcellin :

— « l'autre soir j'ai totalement déraillé, je ne sais pas ce qu'il m'est arrivé. je ne suis pas capable de te dire si c'est mon corps ou mon esprit qui m'a lâché en premier, et si sur le moment j'avais ne serait-ce qu'un soupçon d'envie de frôler la mort. mais je peux te promettre que jamais, en toute lucidité, je n'ai eu l'intention de mourir. »

il ne dit rien, hocha seulement la tête une fois, puis deux et puis de façon répétée et automatique. il souriait délicatement, avec la grâce de l'amitié. je savais qu'il croyait mes paroles, qu'il y trouvait la vérité que j'y avais déposé. son sourire s'étira même jusque sur ses joues, dans le contour de son visage et se figea ensuite dans l'éclat de ses yeux. puis il me dit qu'il devait y aller ; il laissa une étreinte sur mon corps et partit de façon si furtive que j'aurai pu croire qu'il n'était jamais venu.

quelques minutes plus tard j'appris, par le médecin, que tous mes examens étaient finalement bon et que, comme j'allais bien mieux, je pourrai sortir le lendemain. je fus rassuré et pourtant d'autant plus inquiet. que devais-je faire en sortant ? et même avant, devais-je prévenir aramis dès maintenant ? mais en avait-il réellement quelque chose à faire de moi ? j'étais sans issues, sans espoir, détaché de la réalité et je retombai dans un cercle vicieux.

je ne savais que faire et je connaissais l'ennui ; il m'était fatal. j'aurai souhaité qu'il y ait quelqu'un à mes côtés. mais il n'y avait personne. alors, sans même en avoir réellement conscience, j'attrapai le calepin et le stylo que marcellin avait ramené à ma demande et écrivis 'j'ai fait un coma éthylique il y a quelques jours et je ne me souviens même pas pourquoi j'ai bu.' puis je posai le stylo dans un geste brusque et attendis quelques instants. je contemplai mon écriture fine et lisse, arrrachai violemment la page et la jetai par terre. mon regard suivit sa chute, la trouvant hypnotisante.

je laissai le temps et le silence passer, s'écraser et au bout de quelques minutes je réécris la même phrase. je ne déchirai pas la feuille cette fois-ci. et le flux de mots vint seul, léger et de façon si naturelle que cela me surprit. alors, mon poignet me brûla et les mots donnèrent un texte, un poème peut-être, je ne savais pas vraiment.

« j'ai fait un coma éthylique il y a quelques jours et je ne me SOUVIENS même pas pourquoi j'ai bu
et pourquoi j'ai autant bu
il y a quelque chose dans L'ALCOOL , une lueur, une étincelle que je ne retrouve quand dans le soleil de ma vie
le soleil fait fleurir les ABEILLES
il éveille mes rêves et moi je le suis les yeux fermés parce que j'ai besoin d'une trêve
j'ai le désir de ses LÈVRES s'enfermant sur les miennes
un DÉSIR fourbe et lourd qui s'enfonce partout en moi, tel un CORPS, tel un rayon de soleil

j'envie les maisons des petits VILLAGES du sud,
où le soleil tape encore et encore
il tape férocement, à croire que sa vie en dépend
il serait prêt à briser les murs, à casser les FENÊTRES , à faire tomber les toits, à brûler les peaux
j'aimerai qu'un soleil soit ainsi prêt à briser les murs entre lui et moi, à casser les fenêtres des pièces inconnues de mon âme, à faire tomber le TOIT de ma maison, le toi de mes émotions et à brûler ma PEAU pour y découvrir chacun de mes organes

j'envie la senteur des PINS
les fleurs qui ne connaissaient pas la fin
je rêve de la senteur des pins, surtout lorsque que le jour montre sa fin
je veux cueillir les FLEURS qui ne faneront jamais ;
je veux les récolter, les faire sécher ou alors les mettre dans un vase
je veux les observer et m'en émerveiller
j'aimerai des fleurs sans fin, des fleurs en LIN
j'envie une vie d'été ;
mais quelle serait ma VÉRITÉ ?
j'ai envie de vivre l'été
j'ai envie d'être l'été
et de savoir ce que ça fait de l'avoir ÉTÉ
et lui,
a-t-il seulement espéré d'être l'été ?
je veux être son soleil, son ÉTÉ
égoïstement
car je veux qu'il soit mon SOLEIL, mon été

[...]  »

le sommeil m'attaqua par surprise, par derrière, de façon vile et maline et mon texte prit fin au moment où il se glissa en moi. je délirai un peu sous l'effet des médicaments et de l'extase que m'avait procuré l'écriture mais, juste avant de m'endormir, je crus sentir l'été me frôler avec brusquerie. l'été qui n'était pas encore né pouvait-il être aramis ? ou plutôt, aramis pouvait-il être cet été prématuré ?

les mots du bout des lèvres Où les histoires vivent. Découvrez maintenant