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[vent'anni — måneskin]

« le 05/03/22

coucou sacha. j'sais pas trop comment commencer cette lettre. hier on s'est engueulés. à l'heure où j'écris ça je t'ai envoyé un paquet de messages mais tu me mets des vus. depuis plus de vingt quatre heures. putain de vingt quatre heures. j'espère que tu vas bien. j'aimerai seulement que tu me dises que tu vas bien, que je puisse le savoir d'une façon ou d'une autre. j'aimerai être en france, être près de toi. te parler même si tu ne veux pas m'écouter, t'ouvrir mes bras même si tu ne veux pas t'y réfugier, te calmer même si ta colère voudrait me tuer. mais il n'y a que ces putains de sms, ces écrans, ces téléphones et je suis impuissant. je t'ai laissé seul et je le regrette. je me suis laissé seul et je le regrette aussi.

j'espère que quand tu recevras cette lettre tout sera apaisé et qu'on aura programmé une date pour enfin se retrouver. j'y crois fort, je veux y croire parce que je ne veux pas avoir la force de laisser tomber. si ce n'est pas le cas, j'en suis désolé. ça voudrait dire que je ne suis pas à la hauteur. mais je crois bien que je l'ai jamais été.

j'ai envie de te voir sacha. j'ai besoin de toi. réponds moi s'il te plaît, je veux te parler. je ne t'en veux pas, je ne pensais pas ce que j'ai dit. et je comprendrai très bien que tu m'en veuilles pour ça mais je veux juste que tu saches que je ne le pensais pas et que je ne le penserai jamais. c'est tout bonnement impossible.

si tu es prêt à me parler, appelle moi s'il te plaît. je n'attends que ça.

je t'aime sacha <3

— aramis »

je reçus cette lettre cinq jours après notre dispute et ma seule réaction fut qu'elle n'avait pas mis de temps à me parvenir. et il n'y eut rien d'autre. je la lis avec une impassibilité qui m'effraya. étais-je content ? soulagé ? inquiet ? comment devais-je réagir ? j'aurai aimé qu'aramis me livre la réponse dans ses mots. à la place, je me sentis terriblement honteux et illégitime de rien penser à propos de cette lettre. comment cela pouvait-il être possible ?

pour une fois — et cela me surprit moi-même — je décidai immédiatement de ne pas me prendre la tête avec cette lettre et mes pensées — inexistantes soient elles. alors, au beau milieu d'une matinée froide mais ensoleillée de mars je sortis avec mes écouteurs. j'avais besoin de sentir le soleil sur ma peau, de tenter de distinguer son odeur et de faire sourire ses rayons. ou peut-être étaient-ce les miens que je voulais faire sourire ? je voulais ressentir des frissons, le sursaut d'une émotion et la complexité de mes pas. et qui sait, peut-être même que le ciel me tomberait sur la tête et que je mangerai les nuages.

je ne savais quelle chanson choisir pour commencer mon ôde à la tristesse sur le bitume froid, alors je mis ma playlist en mode aléatoire et les chansons défilèrent seules. je n'avais pas à diriger quoique ce soit, je n'avais plus le contrôle et cela était plaisant, tranquillisant, comme si s'occuper seulement de soi n'était plus naturel. je me sentais hors de moi, hors du temps et étrangement léger ; j'eus presque l'impression de voler à quelques centimètres au dessus du sol. et quand vent'anni de maneskin atterrit avec violence dans mes oreilles, ce fut telle une petite explosion. elle fut vive et brève, furtive et douce comme un rêve. mes pas se calèrent instinctivement sur le tempo et je marchai, envoûté. je flottais.

je me mis aussi un peu à pleurer mais cela ne me dérangeait pas. les larmes faisaient partie de moi et elles ne s'étaient jamais réellement arrêtées. et, avec un regard extérieur, je semblais me voir léviter pour chercher à m'éviter. ou était-ce pour l'éviter, lui ? non. j'avais besoin de lui. alors je l'imaginai à mes côtés et l'air saisit ma main à sa place et me transporta dans des néants fabuleux. je n'avais pas bu mais j'avais l'impression d'être ivre. avais-je trop vécu ? était-ce même possible de trop vivre ? ne faisions-nous pas toujours les choses qu'à moitié ?

un soleil glacial frappait paris et je le recevais de plein fois ; j'en vins même à croire qu'il n'était là rien que pour moi, pour me rappeler que le froid ne vivait pas sans le chaud. le parallèle des opposés m'intriguait à la manière d'un être fasciné par quelque chose de futile. la beauté la plus fatale n'était pas toujours la plus banale ? je me sentais banal, mais pourtant si différent. et, au détour des rues occupées, au fil de pensées que je m'étais juré de panser, je me demandai comment les gens me voyaient. comment pouvaient-ils me voir ? ou plutôt, me voyaient-ils ?

je m'imaginai à leur place, me regardant sans me voir. j'eus alors la sensation surprenante d'être le personnage principal d'un film. et je me surpris à me questionner sur ce que je montrais de moi, ce que je voulais bien montrer. oui, je voulais que l'on voit ma souffrance et mon chagrin. mais je voulais également qu'on distingue mon sourire, mon extase, en fronçant un peu les yeux, en se concentrant sur mes pupilles, l'inclinaison de mes lèvres et le teint de ma peau.

quelques chansons plus tard ce fut control me de tr/st qui explosa en moi, et je fus étonné d'être encore capable de secouer la tête dans tous les sens. d'abord j'y allai avec timidité et retenue et je revus furtivement aramis, plus de deux ans auparavant, lorsque nous avions dansé ensemble. je me retrouvai en lui et cela me plut atrocement. mais là tout était différent, il n'était pas avec moi et c'était moi qui était gêné. et puis surtout il n'y avait personne pour m'assurer que je ne serai pas ridicule, pour me montrer l'exemple.

alors je tentai de remplir les deux rôles, avec une bonne dose de maladresse mais cela en vint presque à me faire rire. et quand the outside de twenty one pilots s'immisa dans ma tête et se décida de ne plus jamais s'y retirer je me dis que la retenue était stupide, qu'elle ne méritait aucune reconnaissance. alors je lâchai tout et chantai — murmurant plutôt, au début — tout en bougeant ma tête avec sauvagerie.

parfois — surtout lorsque i wanna be your slave de maneskin m'agressa doucement — je fermais les yeux et imaginai le regard d'aramis tendrement posé sur mon corps parsemé d'accents. et puis, d'autres fois, je me mettais à sauter un peu partout sur le trottoir et à m'éclabousser dans les flaques d'eau formées la veille. j'en vins même à retrouver la sensation si vite perdue des concerts et de la foule autour de moi, des corps se pressant ardemment. et les accords se firent de plus en plus grandissants dans mes oreilles, brouillé par le son des voitures et des passants.

je m'aimais ainsi. cet amour naissant se faisait insistant et l'envie qu'il le voit ne me lâcha plus. à quoi bon lutter ? cela faisait bien longtemps que je n'avais plus rien à perdre. je m'y étais habitué et l'absence d'un quelconque répère ne me faisait même plus peur.

c'est fou comment on s'habitue aussi vite aux choses, pensai-je et c'était une réflexion légère et sans la moindre amertume.

je coupai donc la musique, en plein milieu de la chanson et le silence rompit le charme, ce semblant de bénédiction. mais je n'en étais pas déçu, chaque chose avait sa propre fin non ? et j'avais la prétention de croire que la fin qui nous attendait aramis et moi n'était pas une réelle fin. elle n'était véritablement qu'un recommencement, un nouveau début pour venir troubler les ébats du temps. alors je l'appelai et il répondit dès la première sonnerie ; il m'attendait toujours.

les mots du bout des lèvres Où les histoires vivent. Découvrez maintenant