[fête de trop — eddy de pretto]
une fois notre fou rire apaisé nous restâmes en silence quelques instants. je regardai les visages de ceux qui m'avait en quelque sorte sauvé la vie ; il avait les cheveux d'un noir éclatant, ses traits étaient tirés et ses joues creusées. elle avait la peau hâlée, les cheveux plus courts que lui et d'un orange pétant qui me fit sourire. elle reprenait peu à peu son souffle et sur son visage il était encore écrit le choc et la peur qu'elle venait de ressentir. ils me firent tous les deux de la peine et je résistai à la brusque envie de les serrer dans mes bras.
ce fut elle qui brisa le silence en premier, d'une voix légère mais également cassée :
- « merci beaucoup, vraiment. merci de m'avoir sauvé la vie. »
je me tournai un peu vers elle et sourit légèrement. mais, même avec tous les efforts possible, je savais intimement que le cœur n'y était pas.
- « c'est normal, vraiment. on pouvait pas laisser ces connards te faire du mal. et puis je pense que je l'ai un peu fait pour moi, j'en avais besoin. »
un silence gêné accueillit mes paroles et je me rendis compte - un peu tard - de ce que je venais réellement de dire. j'expliquai alors que je n'avais pas besoin de me battre mais plutôt de me retrouver ainsi confronter à la douleur. ils ne répondirent que par un sourire maladroit, presque triste mais je ne leur en voulus pas ; à leur place j'aurai réagi exactement de la même façon.
« au fait, repris-je timidement, moi c'est sacha.
- moi marcellin, répondit le garçon qui désormais ne serait plus juste le garçon mais marcellin. il semblait soulagé que la conversation fut repartie.
- on m'appelle manoé et par contre je préfère qu'on utilise des pronoms neutres pour me genrer. »
instinctivement je mis ma main sur ma bouche et m'insultai intérieurement. immédiatement, iel me demanda ce que j'avais avec une légère appréhension dans la voix.
- « oh non non rien, c'est juste que depuis tout à l'heure je te genre au féminin dans ma tête. je me sens un peu bête, dis-je en frottant la paume de ma main sur mon front.
- t'en fais pas c'est rien et puis je me doute que ça te pose aucun problème vu ton badge, sourit-iel et je regrettai légèrement qu'iel le mentionne. je ne voulais pas parler d'aramis ni même y penser.
- vous avez un truc de prévu là maintenant ? » nous interrompit marcellin, comme désireux de s'intégrer dans la conversation.
manoé n'avait rien à faire et moi non plus - à part peut-être aller me blottir dans mon lit froid - alors nous décidâmes de marcher sans but précis. nous parlâmes peu, je posai quelques questions, manoé répondait et marcellin intervenait avec de petits commentaires. la nuit chantait au dessus de nos têtes et je la trouvai douce et délicate. elle s'étalait dans le vent froid et soulevait nos ombres pour relever nos courbes. peu à peu, nos pas se coordonnèrent et nous marchâmes vite, presque comme si nous avions l'envie de quitter paris et ses ruelles sombres.
j'aimais voir nos trois paires de doc martens écorcher l'asphalte grise. j'avais mes vertes, marcellin des bordeaux et manoé des jaunes. cela formait un majestueux arc-en-ciel sur la morosité monotone du sol. les lumières des lampadaires éclataient et faisaient vibrer mes yeux rougis par les vestiges de mes larmes. j'aimais tout particulièrement le silence et la symbiose qui régnaient tendrement parmi nous, ils étaient comme des amis récemment tombés du ciel qui cherchaient une place entre nos corps d'inconnu-es.
nous nous enfonçâmes dans les rues ternes et j'appris peu à peu, au détour des lampadaires grésillants et des routes aux pavés inégaux, que manoé vivait en collocation avec une amie pas très loin de mon appartement et que marcellin vivait dans la rue depuis quelques semaines. il ne rentra pas dans les détails mais je me promis, un peu naïvement, de l'aider jusqu'à ce que mon cœur en éclate.
iels étaient toustes les deux des âmes solitaires pour la soirée - et même pour un peu plus - alors je me sentis très vite à l'aise avec elleux et lorsqu'iels me demandèrent très sincèrement comment j'allais je repondis que j'allais mal. et sans trop bien savoir pourquoi ni comment je me retrouvai, sous les faibles lueurs d'étoiles, à parler d'aramis, le décrire et le présenter comme s'il était parmi nous. cela me fit bizarre, de sentir la vie autrement que part les mots d'aramis, son corps et son cœur.
j'arrêtai un instant mon récit, lorsque nous passâmes devant une petite supérette encore ouverte. je sentais mon corps s'alourdir et mes jambes traînaient le loin des trottoirs sales, comme détachées du reste de mon être. à la réflexion, tout en moi était détaché du reste du monde, lâché à la dérive des eaux troubles du chagrin. mais était-ce encore du chagrin ? les amours souillées et dépravées ne donnaient-elles pas aussi lieu à la démence abyssale ?
quoiqu'il en fût, je demandai aux âmes perdues qui m'accompagnaient si elles voulaient une bière. et sans attendre leurs réponses je disparus dans le petit magasin et pris bien plus d'alcool que nos corps pouvaient le supporter. une fois avoir payé je sortis en coup de vent, déjà titubant et avec un mal de crâne qui s'intensifiait de plus en plus. les bières que j'avais bu avant de partir ne m'avaient apparemment pas laissé indifférent. mais je m'en fichais avec une simplicité qui me convaincu moi-même ; je voulais boire, sentir l'alcool déchirer mes entrailles alors pourquoi m'en empêcher ?
- « ah ouais, tu vas vraiment pas bien toi ce soir apparemment, murmura marcellin et je ne lui jetai même pas un regard en ouvrant une cannette.
- moi je bois pas les mecs, faites ce que vous voulez mais c'est sans moi », ajouta manoé et je compris à son intonation qu'une partie d'iel se demandait pourquoi iel restait ici, à arpenter des rues sales avec deux inconnus écorchés.
je ne voulais pas qu'iel parte. je ne voulais pas que marcellin parte. je ne voulais plus être seul et chaque départ sonnait comme un adieu, chaque au revoir comme une absence. alors je lae suppliai de rester, que j'avais besoin de compagnie, des inspirations de leurs corps pressés contre le mien.
- « vous savez, dis-je entre deux gorgées d'alcool, y'a comme un truc en moi. une rivière de douleur qui s'écoule encore et encore sans plus s'arrêter. elle déborde même. je la sens dans tout mon corps, ça siffle, ça hurle, ça bourdonne et là j'sens vos regards posés sur moi, vos mains prêtes à me rattraper. je vois vos sourires un peu tristes et puis les larmes au coin de vos yeux. je vois en vous les sentiments que je ressens. »
je me tus, subitement, avec la froideur d'un os qui casse et la brutalité du vent qui claque. je finis ma bière d'une traite et balançai la canette dans le canniveau, subissant de plein fouet une solitude écrasante. étais-je réellement seul ? ou avais-je juste l'impression de l'être ? au fond, y avait-il une quelconque différence ? avoir l'impression d'être seul n'était donc pas de la solitude ?
marcellin et manoé restaient silencieux-ses, attendant sûrement que mes dures paroles s'envolent dans les cieux, que les ardoises s'effacent et que les étoiles se remettent à briller. mais je vrillai, entièrement et sans plus aucune retenue - y en avait-il déjà eu ? je m'écroulai, rencontrant le bitume froid et humide et les larmes me montèrent aux yeux comme une traînée de poudre, avec une furtivité infernale.
je me recroquevillai sur moi-même, entourant mes genoux de mes bras tremblants et sanglotai avec toute la peine d'un enfant. puis, quand la force de l'alcool s'insinua en moi, je hoquetai de façon presqu'inaudible :
« je crois que j'ai besoin qu'on m'aime. »
plus tard, je me demandai si aimer ne voulait pas tout simplement dire aider et surtout ce qu'iels avaient compris. enfin, leurs corps s'agroupissant à mes côtés et leurs bras m'enserrant parlèrent à leur place ; ils passèrent une vie à me bercer sur ce trottoir gelé.
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les mots du bout des lèvres
Historia Cortales voix s'élevaient dans les airs, cherchaient-elles à se pendre ? - jeunesse amochée | avril > juillet 2021 | suite du soleil du coin de la fenêtre