[ride — twenty øne piløts]

nous restâmes en appel toute la matinée, à parler de nos vies, des souvenirs et puis même de rien. nous avions cette fâcheuse tendance de parler en silence et une partie de moi n'en demandait jamais moins. j'étais allongé sur le ventre, les bas de mes jambes batifolant avec l'air, mon téléphone posé contre un oreiller et lui était dans la même position, à des centaines de kilomètres. nous parlions de notre dernier concert, nous rappelant combien le monde était triste sans concert. avant qu'il parte, nous nous étions fait la promesse de ne pas aller à un seul concert l'un sans l'autre. et nous savions parfaitement qu'ils nous manqueraient atrocement.

— « tu sais pourquoi j'aime tant les concerts ? » me demanda-t-il à un moment où le silence se faisait roi.

je secouai la tête pour montrer mon ignorance bien qu'elle fut feinte, j'avais envie de l'entendre le redire encore et encore. alors il le fit, le sourire aux lèvres, comme si le répéter faisait battre son cœur plus fort à lui aussi :

« c'est une bouffée de vie à part entière, la musique est vivante et c'est le seul endroit où elle l'est vraiment. parce qu'elle est vraie, parce qu'on peut la voir courir dans la salle, détruire des milliers d'oreilles, de cœurs et de corps pour les rebâtir par la suite. en tout cas, moi je la vois et j'aime voir la musique, encore plus que l'entendre je crois. »

il se tut quelques instants pendant lesquels mes mains s'attrapèrent d'elles-mêmes, sans que je m'en rende véritablement compte. mes doigts se cherchèrent et je ne pus leur intimer de se cacher ailleurs car si aramis avait été près de moi j'aurai saisi sa main. j'avais besoin d'une main à caresser, à garder à côté de moi, à laquelle m'accrocher. mais il n'y avait que les miennes alors je me rattachai à moi-même et me mis à gratter mes ongles vernis de noir pour m'empêcher de me les tordre.

à ce moment-là je fus parcouru par une immense tristesse et je ressentis une envie terrible de pleurer. mais je serrai les dents, me pinçai un peu la peau et mordis ma lèvre inférieure pour retenir mes larmes. aramis, lui souriait, il était heureux, je ne pouvais tout simplement pas lui faire ça. je ne me donnais pas le droit de pleurer devant lui pour une raison aussi futile et brève. alors je pris sur moi, essayai tant bien que mal de dissimuler les larmes que s'entêtaient à créer mes yeux et affichai un petit sourire sur mes lèvres. j'espérai qu'il ne verrait pas la tristesse qui s'était égarée dans ce sourire.

— « continue, c'est magnifique ce que tu dis. et puis je pense savoir que tu n'as pas fini », lui dis-je tout en simulant mon éclat de malice habituel dans le timbre de ma voix.

il acquiesça et ses yeux voulurent rencontrer les miens pour les embrasser de toute leur puissance. je fis de mon mieux pour ne pas sembler contrarié par ce simple contact visuel  ; que dirait-il s'il voyait mes larmes ? mais une partie de moi était persuadée qu'il savait, qu'il avait comprit. mais il ne dit rien à ce sujet, se racla juste la gorge et reprit, presque comme si de rien était — et j'aurai aimé que ce soit le cas.

— « ce que j'aime surtout dans les concerts c'est toi. j'aime tes petits concerts dont je suis le seul à connaître l'existence et à pouvoir bénéficier de ton talent. et puis aussi les concerts auxquels on va ensemble, je n'ai même pas de mots pour les décrire je suis désolé. »

et cette fois il se tut définitivement, attendant sûrement que j'enchaîne et approuve ses mots. mais il ne m'en laissa pas le temps ; même pas une seconde après avoir fini sa phrase il s'écroula et se mit à pleurer. que nous arriva-il donc ?

— « eh, petit cœur, que se passe-t-il ? pourquoi tu pleures ? »

il ne me répondit pas et continua seulement de sangloter, me regardant fixement mais avec des yeux vagues qui m'effrayèrent. je ne savais pas quoi faire, je ne comprenais même pas pourquoi il pleurait tout comme je ne comprenais pas pourquoi moi aussi j'avais envie de pleurer. c'était le chaos, je ne nous comprenais plus, ni lui, ni moi. le problème venait-il de moi ?

je paniquai un peu, répétant son prénom d'abord d'une voix inaudible et puis de plus en plus fort, jusqu'à finir par hurler. cette fois je vis le choc et la surprise dans ses yeux et il ouvrit la bouche pour la refermer directement après. je lui reposai ma question, que se passait-il ?

— « tu me manques », murmura-t-il entre deux sanglots.

sur le moment je ne sus que dire, alors je ne dis rien. j'aurai tant voulu le prendre dans mes bras et le serrer contre mon torse pour le protéger. mais il était toujours à des centaines de kilomètres et j'avais seulement ma voix pour l'aider alors je me ressaisis et lui dis avec douceur :

— « toi aussi tu me manques aramis. mais c'est normal tu ne penses pas ? depuis qu'on s'est retrouvés il y a deux ans, nous ne nous sommes jamais séparés et puis avant ces deux ans la séparation a été un peu particulière et douloureuse. »

cela le fit sourire un peu et j'en fus rassuré ; mon aramis savait toujours sourire. et puis j'étais content que maintenant nous puissions rire de ça, de mon départ et de la souffrance. c'était derrière nous et depuis ça nous étions plus forts que tout. je le lui dis et cela sembla le calmer un peu.

« je suis là aramis, et tu sais on va vite se revoir. profite de la suède, éclate toi, rencontre des gens, apprend, fais tout plein de choses qui te font du bien. c'est promis je ferai la même chose. et à chaque fois je penserai à toi et je sais que tu penseras à moi. alors respire calmement, essaie de ralentir ta respiration comme je te l'avais montré. ça va aller, j'en suis persuadé. »

il plongea ses yeux dans les miens une fois de plus et je vis que ses larmes ne coulaient plus. et puis il sourit. je lui demandai si c'était un sourire sincère et spontané. il me dit que oui, tirant encore plus sur les commissures de ses lèvres.

« t'es si beau putain, lâchai-je soudainement, après avoir passé quelques secondes à le contempler.

— j'adore quand tu me dis ça. tu me rends si heureux tu sais. et je suis désolé d'être parti, je pensai que ce serait la meilleure pour moi », dit-il tout en baissant un peu la tête.

je souris mais ne pus m'empêcher de me demander si lui me rendait heureux depuis qu'il était parti. et mes pensées dirivèrent contre mon gré vers le fait qu'il ne m'avait même pas vu pleurer. y avait-il quelque chose de casser ?

les mots du bout des lèvres Où les histoires vivent. Découvrez maintenant