[jour meilleur — orelsan]
les jours passèrent avec monotonie et le manque m'accablait encore plus à chaque seconde. les choses s'apaisèrent peu à peu avec aramis mais je sentais que quelque chose était éternellement brisé. je n'arrivais juste pas à savoir si c'était un élément essentiel ou non. nous nous étions appelés le lendemain de notre dispute et même si la situation nous embarrassait autant l'un que l'autre nous avions réussi peu à peu à passer à autre chose. un peu plus d'une semaine s'était passée depuis notre dispute et nous étions presqu'en février. déjà. c'était un mois que j'avais toujours plutôt bien aimé, court et vif comme pour passer vite au suivant, à un autre chapitre.
je me fis l'étrange réflexion que j'accordais beaucoup d'importance aux mois. janvier et octobre étaient tristes et désespérés à l'inverse d'avril, mai, juin et juillet qui eux étaient la joie, l'éclatance et l'insouciance. février, mars, août et septembre étaient neutres, sans aucun éclat de rire ni de larmes. et puis il y avait novembre. novembre était à part car il regroupait toutes les souffrances accumulées tout au long de l'année. novembre pouvait s'apparenter à une délivrance vicieuse et douceureuse. novembre enlevait le bien et le mal jetait le bien par la fenêtre et me faisait ravaler le mal.
je devais arrêter avec les métaphores semblables à celle-ci, ou même avec toutes les métaphores. ce fut donc en février que je me promis pour la première fois de ne plus jouer au poète car les poètes étaient des êtres tristes et que je ne voulais plus être triste.
je pris donc une décision sévère, mais - je l'espérais - efficace. je voulais arrêter de me morfondre une bonne fois pour toute et pour cela rien n'était mieux que de faire des choses, de sortir de mon appartement. tout d'abord j'envoyai un message à aramis en lui disant que j'étais enfin prêt et déterminé à faire des choses, à profiter de la vie. il me répondit du tac au tac et ses mots me firent sourire. ils disaient qu'il aurait adoré aller vivre à mes côtés et qu'il était fier de moi. et sans même m'en rendre compte j'en souris pendant plusieurs minutes.
je pris donc mes pinceaux et cherchai une idée de tableau à faire. je repensai à toutes ces nuits passées à écouter de la musique, la sentant s'imprégner en moi. j'essayai de me concentrer sur chacune des sensations qui prenait possession de mon corps lorsque j'écoutais de la musique dans le noir. au fur et à mesure de ma réflexion je sortis, plus par automatisme qu'autre chose, tout mon matériel. je pris une petite toile, la plus petite que j'avais ; je voulais représenter la grandeur de la musique sur la plus petite surface possible.
et puis quand tout fut prêt je mis choker de twenty one pilots, et la laissai planer dans mon être entier. elle pénétra dans tous les tissus de mon corps, brisa mes os, tendit mes muscles et apaisa mon esprit. et je m'envolai, du creux de mes oreilles jusqu'au bout de mes pinceaux. une quantité phénoménale de stimulis me parvint en rien de temps et je fus submergé par les délices de la musique. l'art embaumait toute l'atmosphère et je m'en rassasiai avec l'avidité d'un enfant sur le sein de sa mère.
au bout d'une demi heure, j'allumai une cigarette et profitai de sa fumée pour me perdre dans mes voluptés de l'air. je cherchai des idées, des inspirations dans les frustrations du monde et ses regrets les plus immondes. je voulais tout ; la laideur, la beauté, l'entre deux et puis tous les extrêmes et chaque milieu. c'était grisant et chaque parcelle de mon être s'extasiait sous l'euphorie de ce moment hors du temps.
mais une vibration de mon téléphone m'interrompit. enfin, plusieurs. je n'écoutai pas les premières, bien trop obnubilé par mes pinceaux. mais lorsque que mon téléphone vibra encore et encore sans plus s'arrêter je résistai à la tentation de le balancer par la fenêtre et regardai, à contre cœur, qui m'envoyait des messages. c'était aramis. et les messages disaient qu'il me quittait. il l'écrivait en majuscules, en minuscules, les deux combinés, avec des points d'exclamation, avec des points d'interrogation et puis les deux ensemble. il m'insultait, me disait qu'il ne m'avait jamais aimé et qu'il était avec quelqu'un d'autre de toute façon. le 'de toute façon' était important, il signifiait tout.
mais tout ça ne voulait absolument rien dire et je restai bien deux minutes figé devant mon écran. et puis il s'éteignit et je n'eus même pas le réflexe de le rallumer. je ne comprenais rien et ma tête fourmillait de pensées et de questions. je ne souhaitai pas savoir si ses mots étaient sincères, je ne pouvais tout simplement pas même l'envisager.
je pensai : il me fait une blague, il doit être avec des amis, un peu bourré. il supporte tellement mal l'alcool en même temps !
pendant un temps, je me rassurai comme cela, par vague de pensées un minimum lucides et ensuite j'eus un déclic, comme une illumination furtive ; la lettre. ma lettre. elle devait être arrivée jusqu'à lui. à ce moment-là je vis distinctement ma vie défiler devant mes yeux. et je trouvai cela très ironique pour quelqu'un qui pendant trois longues années ne souhaitait que la mort. ce fut l'effondrement, la chute, l'abysse. et puis après ça, naturellement, vint le néant.
le néant, chez moi, se manifesta sous la forme d'un calme olympien et j'en fus le premier étonnement surpris. avec juste une pointe de panique, j'appelai aramis, sans même répondre à ses messages. il raccrocha dès la première sonnerie et je le rappelai immédiatement. mais il recommença et ce cinq fois. je le connaissais assez bien pour savoir qu'il continuerait jusqu'à ce que je me lasse. mais j'étais exactement pareil et il était toujours le premier à craquer. alors, pendant cinq minutes, comme deux enfants répétant la même bêtise sans peur des conséquences, je l'appelais et il me raccrochait au nez. nous jouions au chat et à la souris.
il décrocha au bout du dix-septième appel et désactiva directement sa caméra. je ne dis rien à part son prénom pendant quelque instant. je le répétai plusieurs fois et puis lorsque le silence devint trop lourd je lui demandai s'il avait lu ma lettre.
- « oui j'l'ai lu ta putain de lettre connard », répondit-il avec agressivité au bout de quelques secondes.
sa voix était plein des vapeurs de l'alcool et je pouvais même en ressentir ses effluves. l'ivresse du grain de sa voix normalement si douce fracassa quelque chose en moi mais je ne sus quoi. tout était si cassé en moi que lorsque qu'une nouvelle fracture se faisait sentir j'étais incapable de savoir si elle était déjà là auparavant ou si elle venait d'apparaître dans ma vie.
- « je ne pense pas tout ça aramis. oui je l'ai pensé, quand j'ai écris cette lettre. mais c'était une erreur et je la regrette amèrement. une autre lettre arrive, elle date de l'autre jour, quand on s'est engueulés mais celle-ci ne te ferait pas de mal. je ne veux pas te faire de mal tu sais. alors s'il te plaît essaie de te concentrer sur ta respiration aramis. tu te souviens du cinq-deux-sept ? tu inspires en comptant cinq, tu bloques ta respiration en comptant deux et tu expires en comptant sept. tu le fais avec moi ? dis-je tout en essayant de rester le plus clair et concis possible.
- j'veux plus rien faire avec toi. je suis seul maintenant. »
et il raccrocha sur ces mots, me laissant le poids de ses démons les plus noirs sur les épaules. cette fois je ne tentai pas de le rappeler ; comment aurais-je pu l'aider si moi-même je sombrais ?
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les mots du bout des lèvres
Cerita Pendekles voix s'élevaient dans les airs, cherchaient-elles à se pendre ? - jeunesse amochée | avril > juillet 2021 | suite du soleil du coin de la fenêtre