[youth — rendez vous]

je ne me souvins pas de tout, presque même de rien. je me souvins des enchevêtrements de nos corps, des peaux les unes sur les autres, des membres s'arrachant pour s'attacher les uns avec les autres. et puis sans savoir comment, ni même pourquoi, je me souvins d'avoir marcher, soutenu par leurs épaules fortes et solides. je me souvins des tremblements, des nausées, de la voix brisée, du voile devant les yeux, le noir partout. je me souvins d'avoir eu mal, de sentir le monde s'écrouler sous mes pieds et puis d'être assommé par un morceau de lune.

depuis, je gîs dans mon lit, quasiment étouffé par les draps toujours froissés. je n'avais aucun souvenir d'être rentré chez moi, ni même de mettre coucher. j'étais torse nu et le froid se logea vite sur ma peau lisse. je tirai le drap pour le remonter jusque sur mes épaules et une main se posa sur mon front, avec toute la tendresse qui résidait dans l'univers. elle seule pouvait réparer les dégâts des éclats de lune. cette main aux doigts volatiles et au toucher doux comme du velours s'effondra sur mon front pendant plusieurs minutes. elle le caressa machinalement et à travers ce contact si simple je perçus la solitude la plus extrême. puis, aussi vite qu'elle était apparue, la main s'envola et je ressentis un immense vide.

j'ouvris les yeux, du moins je tentai de les ouvrir. que c'était douloureux ; je les refermai aussitôt et l'air absorba mes grognements avec fluidité. une voix perça l'atmosphère apaisante. étais-je enfin réveillé ? je réussis à répondre un oui étouffé. ma bouche était pâteuse, sûrement dû au manque d'eau et à l'alcool. oh oui, je commençai à me souvenir. pourquoi donc m'étais-je infligé ça ? pourquoi ce besoin désespéré de boire jusque mon corps explose, que mon esprit implose et que je ne sois plus qu'un tas de cendre ? la réponse ne me vint jamais.

— « aller ouvre les yeux, c'est sûrement pas ta première cuite, ricana une voix légèrement rauque. plus rauque que lorsque je l'avais entendu pour la première fois.

— mais laisse-le olala, je pense pas que ce soit qu'une cuite justement, asséna une seconde voix et je crus que ce fut celle d'aramis. alors j'ouvris les yeux pour le vérifier. mais non, ce n'était pas lui. il n'était pas là, il n'était nul part et j'étais seul.

— la belle au bois dormant se réveille enfin », reprit la première voix mais avec plus de tendresse cette fois-ci.

je me redressai avec difficulté et vis marcellin et manoé penché-es sur mon corps, m'observant avec minutie. iels s'écartèrent à l'instant même où iels virent que je m'étais relevé et me demandèrent comment j'allais. jamais cette question n'avait été présente dans une si bonne opportunité.

— « aucune idée. je pense que ça va. mais, il s'est passé quoi ? qu'est-ce que j'ai encore fait ? »

une perle d'inquiétude perçait ma voix et je contemplai dans leurs prunelles toute la douceur qu'il manquait à ma vie. cela me donna ne serait-ce qu'un brin d'espoir.

— « t'inquiète il s'est rien passé de grave, tu as juste trop bu et je pense que tu nous as fait une grosse crise d'angoisse. tu t'es un peu évanoui. mais tu as réussi à nous dire où tu habitais et à trouver tes clés donc on a pu t'amener ici, m'expliqua marcellin.

— ça fait quasiment deux heures que tu dors », ajouta manoé et toute la moquerie dans sa voix me fit penser à aramis. et une amertume profonde m'envahit en un instant dévastateur.

je me sentis stupide et me levai tout en marmonnant. pourquoi ne pouvais-je donc pas faire les choses bien, rien que pour une fois ? était-ce trop compliqué pour moi ? une étrange sensation d'étouffement écorcha mes poumons et je me vis les cracher d'une seconde à l'autre. la nausée me prit et des vertiges firent de nouveau tanguer tout l'univers sous mes pieds.

j'étais faible.

je demandai quelle heure il était. six heures du matin. et rien que de l'entendre je me sentis fatigué et maussade. pourtant je venais à peine de me réveiller. quel était mon problème ? pourquoi étais-je ainsi ? chercher la réponse était vain, mais mon cerveau s'entêtait à tenter l'impossible ; comme pour se prouver qu'il était encore en état de marche.

je réussis peu à peu à reprendre le contrôle fragile et délicat de mon corps. j'allai dans la salle de bain, fermai la porte et m'aspergeai le visage encore et encore dans un geste devenu convulsif. mes mains ne voulaient plus s'arrêter de projeter de l'eau sur mon visage blême, remplissant mes yeux de flou. puis, la porte s'ouvrit brutalement et marcellin fit irruption dans la pièce. il s'approcha de moi et la présence de son corps aussi si proche du mien me fit comme une décharge d'électricité. je me sentis agressé et reculai immédiatement. il en profita pour couper l'eau et manoé apparut dans l'encadrure de la porte. iel tenait mon téléphone, le brandissant dans les airs.

— « ton mec t'a appelé. et il t'a laissé je sais pas combien de messages, tu veux lui répondre ? »

je fis signe que non et, encore dégoulinant, je pousai marcellin pour sortir de la salle de bain. manoé me tendait mon téléphone et je le saisis brutalement, faisant râper nos peaux écaillées. c'était désagréable mais — paradoxalement — ce contact me donna une énergie, une sorte de vitalité que je n'espérais plus.

j'allai sur ma conversation avec aramis et vis tous les messages qu'il m'avait envoyé. je ne les lus pas, je contemplai juste les amats de mots, les lettres entassées et les dérives de maux. et puis, après un instant fugace d'hésitation, je le bloquai tout comme on bloque un inconnu. une partie de moi criait, s'indignait et dénonçait mes états d'âme. comment pouvais-je comparer aramis à un inconnu ? et elle hurlait au scandale encore et encore sans plus s'arrêter.

— « dites, ça vous dérange si je mets de la musique ? demandai-je d'une petite voix, une fois qu'iels m'avaient rejoint dans ma chambre. je ne voulais plus entendre mes pensées.

— avec plaisir, s'exclama manoé, on a un peu fouillé dans tes vinyles t'as des goûts musicaux déments ! »

je m'autorisai un sourire et mes pensées s'arrêtèrent d'hurler rien qu'une seconde. j'en fus soulagé, d'une façon un peu coupable, comme si je le regrettais légèrement. ma voix effleura l'air et une question se forma dans les vapeurs de nos souffles. que voulaient-iels écouter ? marcellin me força à choisir et je laissai directement une idée naître dans mon esprit. je pris l'un des albums de crystal stilts et le lançai. puis je me laissai tomber dans mon lit, écartant les bras et riant à moitié. le mal-être qui me parcourait auparavant semblait être parti et seule une légèreté déroutante resta en moi.

manoé poussa un cri et me sauta dessus, ce qui ne fit qu'accentuer mon rire fou. tout son corps s'écrasa sur le mien et la pression qu'il exerçait m'électrisait. je me sentis puissant de pouvoir le supporter, de le trouver agréable sur le mien et même apaisant. cela me fit prendre conscience que j'avais besoin d'un corps autre que le mien, un corps saint qui me protégerait avec sensualité.

— « vous me faites une place aussi ? » nous interrogea marcellin avec une timidité débordante.

nos rires joints lui répondirent immédiatement et nos corps se déplacèrent d'eux-mêmes pour qu'il se glisse entre nous deux. nous ne nous collâmes pas trop, juste assez pour tenir à trois. je frôlai leur corps, iels frôlaient le mien et cela me rendit vivant. ce fut une explosion d'odeurs, de sensations violentes et de d'exaltation charnelle. et puis, sans leur accord, j'éteignis la lumière et nos peaux devinrent des lucioles et nos yeux des étoiles.

nous parlâmes un peu, avec tendresse et peut-être un peu de folie — je voulais bien l'admettre. nous divaguâmes, nous vécûmes à notre façon, rien que quelques minutes. j'entendais les sourires dans leurs mots et j'étais certain qu'à la lumière je n'aurai jamais pu les distinguer. et puis, sans prévenir, la voix de manoé ne répondit plus, elle sombra dans le fin fond de ces draps qui ne m'appartenaient plus. il n'y avait plus une ombre d'aramis en eux et je ne savais pas comment réagir à ça. c'était étrange.

une fois sûr que manoé dormait, marcellin me chuchota en un éclair, à la vitesse de la lumière, qu'il me remerciait. il avait perdu l'habitude de dormir dans un lit. je me retins de le serrer dans mes bras et préférai le lui dire. il ne dit rien mais je fus sûr qu'il avait sourit. et puis il s'endormit à son tour, je le sus quand son souffle ralenti et quand son bras se décala accidentellement sur mon torse. je savourai cette sensation, ce poids et fermai les yeux. une dernière pensée parcourut mon esprit ; j'en étais venu à oublier la sensation d'un autre corps contre le mien. aramis me manquait tellement.

les mots du bout des lèvres Où les histoires vivent. Découvrez maintenant