[nature trips — eyedress]

il apparut sur l'écran de mon téléphone en un éclair et l'image ne frémit même pas. il semblait fatigué, ses traits étaient tirés, ses yeux légèrement plissés et un épais trait d'eyeliner les contournait. cela me surprit ; aramis ne se maquillait quasiment jamais, il disait toujours qu'il ne savait pas le faire. de plus du noir brillait sur sa bouche et je ne pouvais plus détacher mes yeux de ses lèvres délicieusement ombragées. j'eus immédiatement envie de les embrasser. et la frustration de ne pas pouvoir le faire fut immense et agressive.

quelque chose avait changé en lui. il y avait quelque chose sur son visage, un air sombre, un voile de douleur qui tordit mon cœur. je me sentis atrocement coupable et cela faisait mal.

— « ça te va tellement bien le maquillage, tu devrais en mettre plus souvent, dis-je avec un léger sourire. je ne savais pas si j'avais réellement le droit de sourire.

— je me trouve plus beau avec et ces jours-ci j'en avais besoin. mais j'ai peur de m'y habitué et de ne plus être capable de m'aimer sans. »

je lui répondis que je comprenais, j'avais ressenti la même chose quand je commençais à me maquiller. et, volontairement, je ne relevai pas son manque de confiance des jours passés. je savais que c'était en partie de ma faute. je passai à autre chose ; comment allait-il ?

« c'est dur. tu m'as tellement manqué putain. et tu me manques encore tellement. »

il semblait tout frêle, petit et sans défense et je voulus le serrer dans mes bras avec tendresse. j'aurai voulu le bercer, le coller contre mon cœur, lui faire heurter mon amour et lui rendre sa vie. mais c'était impossible et une partie de moi eut l'impression de le perdre. une disparition brutale et inattendue ; celle qui brise le plus. je perdais tout, ce n'était qu'une simple question de temps. le fil pouvait être coupé à chaque instant et chaque seconde de plus était un miracle à savourer. alors je profitai des saveurs les plus grisantes sur mon palet, sachant pertinemment que la corde s'effilait toujours plus. étais-je capable de vivre en ayant conscience de ça ?

je reportai ma concentration sur aramis et un courant électrique me parcourut quand nos yeux se croisèrent. ressentait-il la même chose? si oui, avait-il comprit que je le ressentais également ? peu importait, je devais essayer de ne rien gâcher cette fois-ci. alors je souris, un peu pour lui montrer que je ne lui en voulais pas et que j'étais là pour l'écouter, pour lui. je voulais retrouver notre frisson perdu.

et moi, comment allais-je ?

sa voix tremblait mais une détermination trépidante y palpitait et je compris qu'il voulait s'affirmer et se faire confiance peu à peu. j'aimais toujours autant sa voix, j'avais oublié combien elle me manquait. comment avais-je pu l'oublier ? une voix pouvait-elle même s'oublier ? si plus de temps s'était écoulé, aurais-je eu du mal à la reconnaître entre plusieurs ? tout ne tenait plus à rien et c'était effrayant, comme si je pouvais m'envoler et m'effacer en un battement de cil.

— « honnêtement ça ne va pas super. ça ne va même pas du tout. je me sens déconnecté de la réalité, je flotte au dessus de tout. mais pourtant je ne vois plus aucun rayon de soleil et me noie dans les voluptés ambrées de l'alcool. je me sens dériver et je me dis que je ne suis tout simplement pas capable de juste effleurer la vie. »

je m'arrêtai un instant, reprenant mon souffle et contenant le surplus d'émotions qui se préparait à dévaler mes joues. aramis ne dit rien, me sourit juste, d'un sourire qui se voulait bienveillant et m'intimait de continuer. alors je le fis, sans plus contenir les sentiments qui débordaient de moi. c'était une cascade, une rivière agitée que j'espérais possible à apaiser pour aramis. par aramis. il était le seul à pourvoir arrêter le flux infernal de mes eaux troubles. il était le seul que j'imaginais capable de le faire.

je lui parlai de manoé et de marcellin, de mes tentatives de vie, des jours passés enfermé et de la détresse explosant aux fenêtres. je répétai que je ne voyais plus le soleil, qu'il se cachait derrière des nuages que je ne voyais pas non plus.

— « comment peux-tu savoir qu'il se cache derrière des nuages si tu ne les vois pas ? m'interrompit-il soudain, mettant l'accent sur mes paradoxes.

— je le sais, c'est tout. et j'ai seulement besoin de le savoir. je suis peut-être un nuage, une question et sa réponse. alors je bloque le soleil parce que je ne suis pas prêt à être heureux, pas prêt à le recevoir. et je sais aussi que je ne le serai jamais. je suis un nuage et les nuages n'aiment pas le soleil. »

il resta silencieux, ne laissant aucune émotion transparaître sur son visage. je trouvai ça triste, il était impassible et ne semblait même pas voir les états d'âme dont nous étions victimes. alors je décidai de faire de même, coupant court à n'importe quel mot. j'étais arrivé devant chez moi, sans même m'en être rendu compte. je fis les cent pas devant l'entrée et mon esprit voleta en direction du moment où nous avions croisé solange, aramis et moi, au beau milieu de notre soirée de novembre. elle avait déménagé peu après et nous n'avions pas vraiment gardé contact. cela me décevait et je ne sus même pas dire pourquoi je ne lui écrivais jamais. j'aurai voulu que tout soit de nouveau aussi simple que lors de cette soirée. elle semblait appartenir à une autre vie, peut-être même à une autre personne.

j'avais peu d'amis, peu de gens en qui j'étais capable de placer la même confiance que j'avais offerte à solange. alors je me promis — niaisement, il est vrai — de lui envoyer ne serait-ce qu'un message, juste pour me sentir moins seul. mais, à l'instant même où je me dis cela, je sus que je n'allais jamais le faire.

— « j'ai un truc à te dire, murmura subitement aramis et je fus un peu surpris de l'entendre. c'était presque comme si je l'avais oublié. avions-nous encore réellement des choses à nous dire ?

— je t'écoute, répondis-je dans un léger sourire. je voulais le mettre en confiance, lui montrer que tout irait bien.

— tu sais je t'avais dis que je pourrai venir en mars mais en fait ça ne va pas être possible. on a qu'une semaine de vacances et j'ai bien trop de travail, je suis vraiment débordé. et je ne veux pas passer le peu de temps que j'ai avec toi à m'acharner sur mes cours », m'expliqua-t-il et voyant que je ne réagissais pas, il ajouta qu'il était désolé.

je ne pensais à rien, tout s'était volatilisé en un clin d'œil. fini le tourbillon de pensées dans ma tête, fini les phrases se brouillant en moi et même fini les battements de mon cœur. ils ne remontaient plus jusque dans ma gorge, ne cherchaient plus à rejoindre aramis. il n'y avait plus rien. rien, à part la question fatidique, celle qui me brûlerait les lèvres mais que pourtant je me sentais obligé de poser.

— « tu ne veux pas me voir, en fait ? »

la colère aggressait ma voix et la rendait rauque et désagréable à entendre. la rage et la déception qui y suintaient auraient pu égorger n'importe qui et je vis dans l'écran de mon téléphone que même mes traits étaient devenus difformes. je n'étais pas capable de dire si c'était la colère ou la douleur qui me mettait dans cet état effrayant, qui faisait apparaître la noirceur sur ma peau d'ordinaire si pâle. mon être tout entier fut brisé et démantelé par de simples mots, par des humbles maux.

et, alors qu'il tentait — sans grand succès — de se justifier, de me contredire et de me prouver qu'il voulait plus que tout me voir, je me donnai une grosse claque. elle aurait été celle que je lui aurai donné s'il avait été en face de moi, à la merci de mes démons. ma paume cingla sur ma joue avec force et vivacité mais je ne sentis rien. j'entendis juste le bruit vif et étouffé. et puis plus rien, de nouveau.

j'avais raccroché. pour de bon ? me demandais-je. la réponse me parvint comme une évidence. le cycle devait être brisé, les maux détruits et les mots dits une fois pour toute, pour remplacer toutes celles où seul le silence avait parlé. je ne voulais plus jamais que tout dérape comme ce qu'il venait de se passer. cela devait être interdit, je n'étais plus en capacité de recevoir une quelconque souffrance et encore moins de contrôler et atténuer celle qui faisait battre mon cœur. alors ce fut moi qui battis en retraite, le cœur lourd.

les mots du bout des lèvres Où les histoires vivent. Découvrez maintenant