xxiii

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[being no one, going nowhere — strfkr]

je fus libre aux alentours de quatorze heure et sortir de l'hôpital me provoqua un excès d'adrénaline. je me sentais bien, je marchais vivement, souriais inconsciemment et fredonnais les chansons qui passaient dans mes écouteurs. qui aurait pu croire que je sortais d'une hospitalisation ? qui aurait pu croire que je me préparais à retourner chez moi, là où mon petit ami qui avait perdu confiance en moi - et moi en lui, sûrement - et nos tensions m'attendaient ? même moi je n'y croyais pas.

je pris le métro et souris à tous les gens que je croisais ; je paraissais sûrement heureux. mais pourtant, en moi le bonheur n'était qu'une illusion lointaine et je ne pouvais m'empêcher de penser à ce qui m'attendait réellement. aramis était-il à l'appartement ? si oui, que faisait-il ? m'attendait-il ? comment pouvait-il passer son temps à m'attendre ? non. il ne m'attendait pas ; il me l'avait dit lui-même, il ne voulait plus m'attendre. mon sourire s'évanouit d'un coup à cette simple pensée, il quitta mon visage et l'univers tout entier.

le reste du trajet se passa sans la moindre émotion, dépourvu de sentiments et de pensées. cela avait quelque chose d'apaisant et d'envoûtant, une sorte de vide intérieur. mais c'était le calme avant la tempête et lorsque j'arrivais devant la porte de mon immeuble je fus englouti par une panique soudaine. je montai les escaliers quatre à quatre, sentant mon cœur cogner violemment contre ma cage thoracique. une fois sur le palier je fermai les yeux un instant et me forçai à imaginer aramis il y a plus de deux ans, exactement dans le même débordement émotionnel que moi. alors, au fin fond de mon être je vis sa main s'accrocher à la mienne au moment même où je toquai. cela était bizarre de s'annoncer pour rentrer chez soi. mais, à la réflexion, ce n'était pas plus chez moi que chez lui.

il vint m'ouvrir à peine quelques secondes plus tard, ce qui laissait fortement penser qu'il m'attendait juste derrière la porte. aurais-je fait cela à sa place ? il ne dit rien, se décalant juste pour me laisser passer. je ne dis rien non plus, me calquant sur lui, faisant un pas s'il en faisait un. et lorsqu'il ferma la porte, laissant de côté le reste du monde, j'eus l'impression d'être un acteur rejouant une même scène encore et encore. pourquoi reproduisons-nous le passé ? était-ce inconscient ? et pourquoi avions-nous changé de rôle ?

j'enlevai, avec lenteur, mon bleu de travail et mes docs martens et puis me mis face à lui, les bras ballants. ses lèvres restèrent scellées et leurs courbures laissaient présager qu'elles ne parleraient pas de si tôt. alors, je brisai le cercle du passé, me jetai à l'eau et inversai les rôles en fendant vers lui et le serrant dans mes bras. il ne résista pas, et je lui en fus reconnaissant. mais, dans cette étreinte maladroitement triste, il n'apparut aucun relâchement, aucun abandon, aucune délivrance.

ses mains aggripèrent mon t-shirt et je sentis la pression de son désir avorté s'échouer sur moi. et soudainement, sans même que je ne m'y attende, il m'attira encore plus près de son corps et me serra avec force. mon nez s'écrasa dans son cou et je respirai son odeur avec avidité. et, juste avant qu'il ne me lâche, je déposai un petit baiser dans le creux de son cou. je m'écartai un peu, me redressant doucement et nous nous regardâmes fixement dans les yeux, toujours sans dire un mot. j'avais chassé de mon esprit l'envie de m'expliquer, de comprendre et de pardonner. apparemment, il n'y avait rien à dire. ou alors, tout fût dit dans ce simple regard d'où perlait une tension visible.

et, alors que je ne m'autorisais plus à y croire, il se mit à sourire, sans aucune raison apparente. il était bien plus beau quand il souriait. j'hésitais à lui demander quel était le déclencheur de son sourire ; je formulai la question dans ma tête, changeant un mot, en rajoutant un autre. mais finalement je ne parlai pas, je ne lui demandai rien et les éclats de nos yeux continuèrent leur conversation silencieuse. rien ne vint jamais les troubler.

puis, il rompit le contact visuel et me tendit l'une de ses mains. pendant une seconde, je crus fermement qu'il avait chuchoté mon prénom. je tendis l'oreille dans l'espoir de réentendre sa voix, mais il ne se passa rien ; je devais avoir rêvé. cependant, j'attrapai sa main lisse et tendre et mêlai mes doigts aux siens. ils devinrent de nouveau inséparables. avec sa délicatesse habituelle - enfin retrouvée - aramis m'entraîna dans la chambre. je ne la reconnus pas, rien n'était comme ce que j'avais laissé. il avait tout nettoyé et rangé et je ne sus comment réagir à cela. c'était adorable et pourtant quelque peu infantilisant.

et, alors que mon regard analysait chacun des changements qu'il avait effectué, il bondit sur moi et ses lèvres se refermèrent sur les miennes, tel que j'en rêvais la veille au soir. je répondis à son baiser avec ardeur, explorant de nouveau sa bouche, comme si elle aussi avait changé. ma langue rencontra la sienne, rencontra des mots coincés au fin fond de sa gorge et les tira d'un grand coup. je sentis son sourire contre le mien. je l'embrassai encore plus fort, de façon encore plus grande et plus fougueuse. c'était bon, c'était frais. ce baiser sentait le soleil des jours passés, les souvenirs des jours heureux.

nous nous embrassâmes longtemps et, une chose en menant à une autre, nous nous retrouvâmes soudainement nus. je voyais ses yeux glisser sur tout mon corps, sur mes courbes et sur mes cicatrices. cela me perturba, je n'avais plus l'habitude de sentir les regards sur mon corps docile. je baissai la tête, lui montrant ainsi - mais inconsciemment - que j'étais à lui, qu'il pouvait faire ce qu'il voulait de moi. encore une fois, les rôles s'inversaient ; j'attendais de lui ce qu'il aurait pu attendre de moi.

je le regardais à peine, le laissant juste toucher mon corps à sa guise. je gîsais, au beau milieu des draps froissés et il me couvrit peu à peu de douceur. il s'appliquait sur chacun des gestes, je le voyais à son visage dégoulinant de concentration. il était beau ainsi. pour la première fois depuis que nous étions ensemble, ni lui ni l'autre ne laissa courir sa voix sur les murs pendant que nous fîmes l'amour. il n'y eut aucun oui prononcé comme à l'accoutumée mais nous faisions tout avec tellement de lenteur et de douceur que si l'un d'entre nous n'aurait pas voulu continuer nous aurions pu nous arrêter sur le champ. il n'y eut aucun plaisir accroché aux fenêtres, glissant le long des rideaux, s'écorchant sur nos peaux.

nous avions perdu nos voix.

la jouissance nous emporta en même temps deux fois, lorsque je fus en lui et lui en moi. elle nous parvint lentement, comme si elle avait du mal à se souvenir de nous, depuis tout ce temps. puis, lorsque nos souffles commencèrent peu à peu à s'atténuer et que nos corps arrêter de se mouvoir, je me sentis de nouveau libre et heureux et avec l'étrange impression de me réveiller d'un mauvais rêve. faire de nouveau l'amour avec lui était comme une libération d'un poids qui n'existait pas. j'avais le goût pâteux de l'amour dans la bouche.

nous nous mîmes sous les draps et nous lovâmes l'un contre l'autre, ma tête reposant sur son torse. j'entendais son cœur battre. cette constation me rassura, le temps ne pouvait pas tout effacer. mais, je me rembrunis vite, nous avions perdu nos voix. ou alors c'était le temps qui nous les avait volé. je fus triste. je n'imaginais pas ce moment ainsi, ni même aucune de nos retrouvailles ; nous n'avions pas parlé.

les mots du bout des lèvres Où les histoires vivent. Découvrez maintenant