[in this shirt — the irrepressibles]

nous dormîment jusqu'à dix heures, les un-es contre les autres, perdu-es dans les plis des draps et les courbes des corps. il se dégageait de nous des senteurs fracassées tout contre une sensualité exubérante. mais je les savourai et quand il fut l'heure pour elleux d'y aller je retombai immédiatement. pourquoi tout avait donc une fin ? et pourquoi les fins avaient-elles toujours cette obligation prenante d'être tristes ?

nous échangâmes nos numéros et nous nous promîmes de nous revoir très vite. et cette apostrophe à l'avenir me fit plaisir, comme si, en moi, il n'y avait plus rien qui se rattachait au futur. j'avais arrêté d'attendre parce que l'attente fut et demeurait la douleur la plus atroce qu'il m'avait été donné de vivre. et puis en un clin d'œil, iels furent parti-es et je me retrouvai de nouveau seul, en proie à la fastidieuse attente.

je ne touchai pas mon téléphone de la journée mais j'avais l'intention de faire des choses, de briser mon quotidien monotone. il était déjà onze heures et demi et je m'installai au piano et jouai jusqu'à en perdre mes doigts. ils semblaient se détacher de mes mains, être retenus parce un seul filament, pendouillant nonchalament. et puis peu à peu, embarqués dans la musique, chacun de mes membres se détacha. les uns après les autres, brouillant les pistes, s'emmêlant avec dangerosité. je jouai et je jouai encore, multipliant les fredonnements de ma voix frêles, fracassant les accents mélodieux. j'aimais cette sensation incongrue que jouer me proposait. c'était une libération profonde.

en réalité, je passai des heures, des journées entières à jouer, à bouleverser les sons et à les faire murmurer tout ce que je souhaitais entendre. j'étais obnubilé par mes doigts sur le clavier et les notes s'enchaînant comme par magie, comme en lévitation.

et puis, quand je ne faisais pas de musique, je passais mon temps à en écouter. je peignais également, même si depuis que je n'avais plus de photos récentes d'aramis cela me procurait bien moins de plaisir. d'ailleurs, nous ne parlâmes pas pendant plusieurs jours. je le débloquai après le départ de manoé et marcellin mais ne répondis pas à ses messages. je ne les lus même pas, jugeant avec une certaine rancœur que je ne devais pas avoir besoin de lui pour vivre. alors, pendant trois jours entiers, je m'appliquai miticuleusement à vivre avec une certaine rigidité, comme au rythme d'un métronome.

pourquoi ne voulais-je pas me rendre compte que je ne faisais que me tuer davantage ?

je ne parlai à personne pendant trois jours et une foudroyante absence se figea en moi ; les corps me manquaient, les voix, les visages, les attitudes, les silhouettes. et finalement je parvenais plus à savoir si mon envie de vivre n'était que la façade de ma solitude. pouvais-je aller mieux en restant seul ? n'était-ce pas à cause de ça que j'avais échoué la première fois ?

et peu à peu le vide des corps prit toute son importance et je me sentis lassé, agressé en permanence par le simple contact de ma main sur ma joue. mes mouvements, mon toucher me grisaient autant qu'ils me rebutaient. j'étais en manque de barrière et d'abri, je le savais. mon corps me lâchait et bientôt il ne resta rien de moi. vivre de façon erronée était une bombe à retardement.

alors, durant ce troisième jour de souffrance, alors que mes mains effleuraient mon corps comme pour prouver qu'il était toujours là, je fus pris d'un désir pressant. tel un fauve, je bondis sur mon propre corps et le froissai de mes mains sales. je l'aggripai, le retournai, le compressai et je le sentis redevenir lui, comme si l'exaltation de la douleur ravivait ses souvenirs. j'avais besoin de mon corps, qu'il me porte et me garde en vie. je voulais l'aimer de nouveau, qu'il m'aime encore et que l'idée de vivre le séduise. alors, lorsque ma main glissa dans mon pantalon ce fut comme une évidence. je frissonnai. et ce fut tout.

bien fait pour toi, pensai-je intérieurement. même mon corps ne voulait pas de moi et de mes mains mais c'était compréhensible après tout ce que je lui avais fait subir. je ne devais rien attendre de lui. et pourtant mon autre main rejoignit la première et les frissons redoublèrent. mais il n'y eut rien d'autre, j'eus beau me toucher encore et encore je le savais ; j'avais tout perdu, perdu mon corps. dans ce cas, qu'avais-je à perdre de plus ?

je continuai à caresser mon sexe pendant longtemps, luttant contre l'impatience de mon désir fourbe. il était sournois et vil et ne voulait plus me lâcher ; il me collait au cœur mais semblait incapable de s'accrocher à mon corps. peut-être était-ce parce qu'aramis n'était plus là. cela faisait très longtemps que je ne m'étais pas masturbé, le corps d'aramis me suffisait, son amour et sa jouissance. avais-je oublié comment faire ?

non, c'était impossible. mon corps ne pouvait pas changer, mes mains ne pouvaient pas faire autrement et les ondulations de mon bassin ne pouvaient pas être plus prononcées. lorsque je perdis patience pour de bon, je sus que j'avais besoin d'aramis. et une frustration immense m'envahit. pourquoi n'y arrivais-je donc pas ? autant à atteindre la jouissance, à éprouver la moindre sensation qu'au fait d'être capable de répondre à aramis. parce que oui, je l'ignorais pas seulement par fierté mais aussi parce que je m'en sentais totalement incapable, trop fragile, trop lâche. j'avais peur.

je pleurai pendant des heures, passant de la peur au dégoût et puis à la honte pour finir par me réfugier dans la culpabilité. et si tout était de ma faute ? et si aramis était heureux sans moi en suède ? pensait-il même à moi ? il avait arrêté de m'envoyer des messages deux jours après notre dispute et la lassitude qui transperçait de cet acte était dure à accepter. ces heures furent difficiles et douloureuses, cela faisait longtemps que je n'avais pas été aussi en proie à mes pensées et à mon esprit délirant. si seulement ce n'était qu'un mauvais rêve.

pourquoi ressentais-je ça de nous ?

et, au beau milieu d'une insomnie écœurante et remplie de démons, je décidai — légèrement à contre cœur — d'envoyer cette simple phrase à aramis. comme seule réponse, après tout qu'avais-je d'autre à dire ? j'étais seul, je ne faisais rien. je n'étais rien. cependant je ressentais trop donc pourquoi le cacher si le reste se voyait à s'en crever les yeux ? je passai la nuit à attendre une réponse pour enfin sentir quelqu'un venir à mon secours, un appel pour enfin entendre une voix se briser contre la mienne. mais rien ne vint. et j'attendis toujours, broyant le noir de ma chambre et écoutant friend, please en boucle. j'étais revenu à un point de non retour et je m'en fichais totalement. je n'avais rien à perdre.

les mots du bout des lèvres Où les histoires vivent. Découvrez maintenant