[into the black — chromatics]
l'image était légèrement floue, un peu tremblante mais je distinguai sans peine les traits de l'homme qui faisait battre mon cœur. il souriait comme un fou et cela me tordit mes lèvres à mon tour.
— « allo ? murmura sa voix, elle sonnait comme une bouffée d'espoir.
— aramis », m'écriai-je presque, sentant une onde de bonheur monter en moi.
je m'assis confortablement en tailleur sur mon lit et bloquai mon téléphone contre un coussin. je ne quittais plus l'écran des yeux, je ne voulais que rien ne vint troubler ma contemplation. cela était très perturbant de ne plus le voir tout le temps, que nos yeux ne se percutaient plus continuellement. mais je pouvais quand même le voir, observer ses traits parfaits et me plonger dans les contours de son visage angélique.
— « ah, tu m'as manqué depuis hier, rit-il doucement mais je décelais une pointe d'amertume dans son éclat de joie.
— je suis tellement unique et incroyable que même si tu passes une seconde sans moi je te manque en même temps », répliquai-je avec malice. j'aimais toujours autant me moquer de lui avec ce soupçon d'affection le plus innocent.
il passa sa main dans ses cheveux et pencha légèrement sa tête sur le côté. je le connaissais ; il cherchait une pique à me renvoyer, un éclair furtif d'amour pour mieux me faire succomber. mais il se lassa bien vite de chercher, il y avait des choses plus importantes dont il souhaitait parler. je le laissai faire à sa guise et il fit voler ses mots dans ma chambre comme si cela était possible. et je crus cela possible, j'y crus avec la naïveté d'un enfant et la force d'un sage.
— « qu'as-tu fais aujourd'hui ? » me demanda-t-il soudain, avant que le silence ne pût envahir nos voix fragiles.
je vis ses mains s'entremêler en bas de l'écran et elles me semblèrent tordues, quasiment cassées. je ressentis une peine immense en constatant que j'étais appelé par ses mains qui restaient prisonnières d'un autre pays. cela me brisa le cœur avec une lenteur destructrice.
— « je n'ai pas fait grand chose, j'ai été en cours et j'ai peint un peu.
— oh tu m'enverras une photo ? s'écrit-il soudain tout en se relevant un peu.
— bien sûr », riai-je, attendri par son enthousiasme démesuré.
je peignais depuis quelques mois, toujours des portraits d'aramis plus ou moins réalistes. peindre m'apportait une liberté insoupçonnée et que je n'eus jamais cru connaître. j'aimais jouer avec la peinture, l'étaler partout, la froisser et lui donner forme. c'était une substance malléable et intriguante qui me semblait aussi attirante qu'un corps.
— « et toi, qu'as-tu fais ? » l'interrogeai-je, me rendant compte que je ne lui avais pas retourné la question. elle me paraissait futile, quasiment inutile et je me sentais illégitime de le lui la poser ; j'aurai voulu passer cette journée — et toutes les autres — avec lui.
il m'expliqua, avec un éclat de joie dans la voix, qu'il avait été en cours lui aussi. son année en suède avait été influencée par ses études. il se devait de partir et même si cela tordait mon cœur, je ne pouvais pas l'en empêcher. je lui aurait fait du mal et j'aurai pu me tuer pour cela.
nous parlâmes pendant plus d'une heure, de choses multiples et toutes plus douces les unes que les autres. nous ne parlâmes quasiment pas de moi et cela m'arrangeait ; je n'avais rien à dire et je n'en eus pas très envie. alors, la discussion se tourna d'elle-même vers lui et ses états d'âme, là-bas, en suède. le pays semblait lui plaire et lorsqu'il me le dit j'eus la sensation de recevoir un couteau en plein dans le cœur.
« j'aimerai tant découvrir ce pays avec toi. mais je suis coincé à paris, sans toi », lui dis-je soudain et ma voix frêle me fit de la peine à moi-même. n'avait-il pas pitié de moi ?
mais il plongea ses yeux dans les miens — enfin, dans l'écran de son téléphone — et me sourit. je reçus d'un coup des flammes palpitantes dans mon ventre et une étrange chaleur se diffusa en moi. c'était un désir ténu, presque futile qui jouait à torturer mes sens. et j'en vins à me demander comment un sourire pouvait-il déclencher de pareilles sensations. il me faisait passer du tout au tout, d'une émotion sombre à un puits de lumière. quoi qu'on en disait, je sus pertinemment que l'amour était un miracle.
— « tu n'es pas coincé à paris tu sais » , dit-il dans un murmure et je ressentis dans son intonation que c'était une façon détournée de me demander de le rejoindre.
je soupirai. c'était impossible et il le savait parfaitement. à quoi jouait-il ?
— « j'ai bien reçu ta lettre sinon, ajoutai-je, éludant sans grande finesse sa précédente remarque et mettant sous silence le fait que je n'avais pas encore tout lu.
— oh trop bien ! s'exclama-t-il, elle t'a plu ? »
il souriait tel un enfant, avec un sourire remplir de souvenirs innocents. cela me faisait plaisir de le voir ainsi, toujours flamboyant même en étant égaré dans la tristesse. alors, voyant son visage ainsi inondé de joie je m'abandonnai à son amour et ravalai la colère ressentie auparavant. j'oubliai même le manque qui se creusait en moi. et puis, même s'il me manquait, il était toujours là, tendre amoureux au corps lointain qui me montrait comment faire fleurir le bonheur sur mes lèvres.
— « bien sûr qu'elle m'a plut, mais ça c'était une évidence. »
je ne mentais pas, je savais que sa lettre était recouverte d'un épais voile de magnificence, qu'elle était la magnificence même. je me promis qu'une fois l'appel terminé je lirai la fin de la lettre et tenterai moi aussi d'attraper un stylo du bout de mes doigts tremblants.
« merci de me l'avoir écrite », repris-je quelques secondes après, glissant dans mes mots toute la reconnaissance qui me comblait.
il me répondit que ça lui avait fait plaisir et qu'il aimerait que nous nous envoyâmes régulièrement des lettres. j'acceptai, affichant avec abondance de la quiétude sur mon visage. et puis, il me dit à contre cœur, cela se sentait dans le timbre fragilisé de sa voix, qu'il devait me laisser. il ne me donna aucune raison et je ne pensai pas non plus à le lui demander. alors, avec toute la peine du monde, je le laissai une nouvelle fois et il me murmura ses derniers mots :
— « on se rappelle demain, c'est promis et j'en ai déjà très hâte ! prends soin de toi sacha. je t'aime terriblement.
— moi aussi je t'aime aramis », répondis-je avec douceur.
et moins d'une seconde plus tard il avait raccroché et je me retrouvai de nouveau seul, le cœur fissuré avec tendresse.
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les mots du bout des lèvres
Short Storyles voix s'élevaient dans les airs, cherchaient-elles à se pendre ? - jeunesse amochée | avril > juillet 2021 | suite du soleil du coin de la fenêtre