[teenager - silly boy blue]

« le 08/11/21

coucou aramis
euh oui, c'est une lettre de ma part. ça fait bizarre hein ? je sais pas trop comment faire, je suis désolé. j'ai un peu peur de ne pas assez écrire, ou de trop écrire ou alors juste d'écrire de la merde. j'ai une peur terrible au ventre, celle de dire ce qu'il ne faut pas, de dire un mot de trop, ou alors ne pas dire certaines choses aussi.

dis moi, tu sais depuis quand je me pose autant de questions avant de me lancer ? d'habitude c'est toujours moi qui fonce sans réfléchir. je préfère ça

en ce moment, depuis que tu es parti à-vrai-dire, je me torture un peu l'esprit. je ne sais même pas pourquoi. tu sais, je me demande si j'ai le droit de te demander de revenir.

on va dire que oui.

peux-tu revenir aramis ? »

la feuille crissa dans un léger bruit sourd lorsque j'en fis une boule grossière. il était vingt deux heures passées et j'écrivais depuis quelques longues minutes. j'avais saisi le premier stylo - il était rouge - et la première feuille - déjà déchirée - qui me passaient sous la main et j'avais essayé. mais essayer ne veut pas dire que l'on se prépare à échouer ? parce que si nous n'avions pas l'intention d'échouer nous ne dirions pas essayer mais juste faire.

je n'ai jamais su si j'étais capable d'écrire, mais aramis m'avait assuré que j'en étais capable ; tout le monde l'était, disait-il. une partie de moi était certaine qu'il avait raison, comment ne pas savoir aligner quelques mots les uns derrière les autres ? finalement, les poètes n'étaient-ils pas chacun d'entre nous ? ou plutôt, n'étions-nous pas tous des poètes ?

je jetai la feuille à la poubelle ; je n'écrirai pas ce soir, je ne voulais pas en être capable pour le moment. il était vingt deux heures et j'eus l'impression d'être vide, vide de sens et d'énergie. j'eus l'envie soudaine de manger alors je sortis de ma chambre, ma tombe, et entrepris de rassembler tout ce que j'avais dans mon frigo. immédiatement, les pensées se bousculèrent dans ma tête et je revis avec une précision aberrante toutes les fois où je lui fis des mélanges étranges d'ingrédients perdus dans ma cuisine.

je me souvins, presque par vagues, de cette soirée de novembre deux ans plus tôt, lorsque nous avions cuisiné ensemble. quand pourrions-nous le faire de nouveau ? cette question que je me posais malgré moi me tordit le ventre et troua mon visage de nostalgie. habituellement, j'aimais bien la nostalgie, nous en parlions souvent avec aramis, les dimanches pluvieux ou les jours moroses. pour nous, la nostalgie était belle parce que nous la vivions ensemble, nos corps dans un enchevêtrement parfait et nos cœurs dans une symbiose divine. nous nous rappelions nos souvenirs les plus profonds, les bribes de soleil et de sel sur nos peaux bronzées et puis nous sourions, parce que nous étions tout de même ensemble.

ce soir, j'étais seul. alors la nostalgie me fit peur, d'une peur vicieuse qui bouscula chacun de mes os et de mes organes, s'infiltrant dans tous mes tissus, toutes mes cellules. je mangeai au ralenti, ne sentant ni le chaud de mon plat, ni le froid de mon yaourt. je ne sentis aucun goût, aucune saveur, rien ne vint s'effondrer sur mon palet, jouer avec mes sens et faire faner ma morosité. manger ne m'avait rien procurer, j'étais vide et cela me faisait peur.

j'étais vide et je n'avais envie de rien à part d'aramis et de son corps fondant sur le mien. sa présence était pesante car elle se mêlait à des sursauts d'absence et de souvenirs. la chaleur de sa peau, l'odeur de son corps, la délicatesse de sa voix, la douceur de ses lèvres, la force de ses bras, la sincérité de son amour ; je repensai à tout sans parvenir à savoir si cela me faisait du bien ou non. mais après tout, j'étais bien incapable de ne pas laisser mes pensées vagabonder jusqu'à lui.

une fois que j'eus fini de manger, débarrasser et ranger un peu le salon je retournai dans ma chambre et lançait une compil' faite par aramis. depuis qu'il m'avait rejoint dans mon appartement quasiment deux ans plus tôt, nous avions deux platines. je mis le vinyle sur la sienne - qui était finalement aussi la mienne - et le regardai commencer à tourner avec un regard vague. malgré tout, j'aimais observer le disque se mouvoir avec toute la régularité et la stabilité qu'il dégageait. il était tout l'inverse de moi et cette pensée réussi même à laisser un rire me frôler.

puis, au bout de la deuxième chanson, déjà lassé de contempler la musique tourner, je m'allongeai dans mon lit. je pris, dans un mouvement légèrement maladroit et incontrôlé, mon téléphone et y vis une réponse d'aramis. il me disait qu'il me souhaitait une bonne nuit - comment savait-il que j'étais prêt à m'endormir si tôt ? - et me disait qu'il m'aimait. cela fit tambouriner mon cœur plus fort et je m'autorisai un sourire passionnel. je lui répondis que je l'aimais encore plus, sachant très bien qu'il allait me contredire et lui dit que j'avais hâte d'être le lendemain pour voir son visage d'ange en appel.

et j'éteignis mon téléphone avant de voir sa réponse, sans même savoir pourquoi. je laissai la sonnerie activée au cas où il avait besoin de moi en plein milieu de la nuit. il faisait de même je le savais, nous nous l'étions promis. puis, je me mis en position fœtale, couvrant tout mon corps avec le drap comme pour me protéger ou bien représenter son être sur moi. j'avais tant besoin de lui, du poids de son corps sur mes épaules, mon dos, mon torse, mes jambes, mes bras, mon visage. j'aimais avoir le visage écrasé par le sien, par la légèreté de ses expressions heureuses et son amour.

cela faisait seulement la cinquième nuit que je passai seul dans notre lit et je n'arrivais pas à y croire. il y avait un vide imposant et démesuré à sa place et malgré tout ce que je pouvais faire je n'arrivais pas le combler. je ne voulais pas m'étaler sur le matelas, me sentant trop vulnérable et ressentant encore plus son absence. alors que pouvais-je faire pour combler le vide que je ressentais. ce vide était-il fondé ? y avait-il vraiment un vide à côté de moi, en moi ?

je crus que j'allais penser à lui et redouter au fait d'y penser. mais je n'en eus pas le temps, je m'endormis avant que la première face du vinyle fut finie, comme dans une traînée de poussières d'étoiles. et j'espérai de tout cœur que le marchand de sable prendrait bien soin de moi cette nuit-là, rien que pour se faire pardonner de tous les cauchemars.

les mots du bout des lèvres Où les histoires vivent. Découvrez maintenant