𝐈

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 Mes talons aiguilles résonnaient dans le couloir vide qui menait à la salle des professeurs. La nuit était encore présente, amenant avec elle une atmosphère bien particulière que j'appréciais beaucoup. Il était encore tôt, j'avais une dizaine de minutes devant moi avant que la sonnerie ne retentisse et que je découvre mes nouveaux élèves. Cela me faisait bizarre de revenir ici, dans cet établissement que j'avais pourtant souhaité ne plus jamais revoir, dans lequel j'avais passé les pires années de ma vie.
Initialement, je n'étais pas professeure. J'étais même bien loin de ce milieu, puisque j'exerçais en tant que députée à l'Assemblée Nationale. Je n'avais pas fait de reconversion professionnelle, je rendais seulement service à un de mes vieux amis, accessoirement mon ancien professeur d'histoire et de politique. Un cancer au rein lui avait été détecté et s'était aggravé, l'empêchant alors de poursuivre sa fonction. Il m'avait donc invité à prendre le relais, sachant que je saurais me débrouiller avec les adolescents et que je m'y connaissais pas mal dans les matières qu'il enseignait. J'avais bien sûr accepté, je lui devais bien ça.
J'entrai en salle des profs. Toutes les conversations qui se tenaient se stoppèrent immédiatement à mon arrivée. Je poussai la porte pour la fermer. Tous mes nouveaux collègues me dévisageaient. J'en reconnus quelques-uns, mais eux ne semblaient pas m'avoir remis. Tant mieux, songeai-je.

— Bonjour, les saluai-je.
— Qui êtes-vous ? me demanda un homme.
— Madame Rey, professeure d'histoire-géo, géopolitique et sciences politiques. J'imagine qu'on ne vous a pas prévenu de mon arrivée, vu les têtes que vous tirez...

Je vis mes anciens professeurs afficher un air surpris, puis content.

— Emma ! souffla Madame Colas, mon ancienne professeure de sciences sociales. Comme tu as changé ! Viens, ne sois pas timide !

Au moment où j'allais m'asseoir avec eux autour de la grande table, on frappa un coup à la porte. Cette dernière s'ouvrit pour laisser entrer une silhouette sombre. Je n'eus pas le temps de la voir, elle était maintenant cachée par mes nouveaux collègues qui s'étaient levés pour la saluer. J'entendis seulement une voix, froide et sévère, questionner :

— Mademoiselle Rey est-elle arrivée ?

Je grognai en entendant le "mademoiselle". Devrais-je lui dire qu'on n'utilisait plus cette appellation ? Je me décalai de quelques pas pour pouvoir l'apercevoir. Je fus surprise de voir une aussi belle femme. Elle était chiquement vêtue, d'un ensemble gris dont la jupe crayon s'arrêtait au-dessus de ses genoux camouflés sous un collant opaque. Elle n'était pas plus grande que moi, pourtant elle dégageait un certain charisme, une aura qui m'indiquait clairement que je ne devais pas faire la maline face à elle. Ses yeux sombres se posèrent sur moi.

— C'est Madame Rey, rectifiai-je. Et je suis là.
— Très bien, mademoiselle.

Elle appuya bien sur le dernier mot, ayant prononcé sa phrase d'un ton condescendant. Elle arborait un air fier sur son visage bronzé.

— Je suis donc Madame Kalter, la cheffe d'établissement. Je ne crois pas que nous nous soyons rencontrées jusqu'à présent.

Elle s'avança dans la salle en faisant claquer ses talons, puis vint se poster à côté de moi. Une douce odeur d'eau de Cologne fleurie emplit mes narines. Je reconnus le parfum de la fleur d'oranger, une odeur que j'appréciais particulièrement. Tous les professeurs étaient tournés vers nous, ceux du fond se chuchotant des mots pas très discrètement.

— Les deux du fond, je peux savoir ce que vous avez à vous dire ?

Ils restèrent silencieux, pris la main dans le sac, comme deux élèves qui discutaient en classe. L'idée de voir les rôles s'inverser me fit doucement sourire.

KALTER || 𝐬𝐰𝐚𝐧𝐪𝐮𝐞𝐞𝐧Où les histoires vivent. Découvrez maintenant