KALTER || 𝐬𝐰𝐚𝐧𝐪𝐮𝐞𝐞𝐧

𝐕𝐈𝐈𝐈

  Assise sur la table de ma petite cuisine, je terminais de corriger des devoirs maisons que j'avais prévu de rendre dans la semaine. Heureusement qu'il ne s'agissait que d'un croquis, autrement ça m'aurait pris bien plus de temps. Thomas m'avait expliqué que les corrections se faisaient en suivant un barème que je pouvais créer en m'appuyant sur les notations du bac, ou bien selon mon propre feeling. Ne connaissant pas encore très bien les élèves, j'avais décidé d'être clémente pour ce premier devoir que je ramassais.
Il ne me restait que trois dessins lorsqu'on frappa à ma porte. Je fronçai les sourcils, me demandant qui pourrait bien me déranger un dimanche après-midi. Je pensais à un voisin enfermé à l'extérieur de son appartement et qui aurait oublié les clefs, ou alors qui veut m'offrir une part de gâteau, comme ça m'est déjà arrivé. Les gens étaient plutôt cool, ici. Je me levai de ma chaise et je pris soin de vérifier que j'étais un minimum présentable malgré mes cheveux blonds vulgairement rassemblés en chignon et mon survêtement de sport. J'ouvris la porte, et je fus surprise de tomber sur ma patronne. En me voyant, elle me reluqua de la tête aux pieds.

— On est loin des tailleurs de politicienne, commenta-t-elle.
— Que voulez-vous ? m'empressai-je de lui demander, ne comptant pas rester là pour recevoir des critiques.
— Je peux entrer ?

Je me décalai pour la laisser passer, et je refermai la porte derrière elle. Elle s'aventura dans mon appartement, jetant un coup d'œil à la table où elle vit les croquis de mes élèves. Son regard se posa ensuite sur la grande baie vitrée de mon balcon, dont la vue donnait sur les jets d'eau de la place, inactifs en cette période de gel. Je l'invitai à enlever son manteau, elle refusa en me disant qu'elle ne comptait pas rester longtemps.

— Votre vue est vraiment sympa, fit-elle.
— Allez à l'essentiel, on gagnera du temps.

Elle ne m'écouta pas, préférant poursuivre l'inspection de mon appartement. Elle commenta les couleurs qu'elle trouvait tout à fait à son goût, ainsi que l'aménagement des meubles dans les pièces à vivre.

— Ils ont fait du bon travail dans ces immeubles, conclut-elle.
— Si Valérie Damidot pouvait me dire ce qu'elle vient faire chez moi ça m'arrangerait.
— Moquez-vous, Miss Rey. Sachez que ces immeubles n'existeraient pas sans moi.
— D'accord, Haussmann.
— Vous ne pouvez donc jamais être sérieuse ? J'ai dit ça parce que j'étais maire de cette ville à l'époque où les travaux ont débuté. J'ai choisi que votre appartement ait cette forme, cette structure et je peux d'ailleurs vous assurer que votre chambre se trouve dans cette pièce et la salle de bain dans celle-ci.

Elle commença à me raconter le déroulement des travaux, à me décrire les différentes maquettes que les architectes les plus réputés du pays lui avaient montré, à m'expliquer la collecte de dons communs pour financer la construction, la destruction des vieux immeubles qui menaçaient de s'écrouler, tout en vantant ses mérites. Elle me dit ensuite qu'elle avait quitté la mairie pour reprendre la direction du lycée. Je restai silencieuse, la laissant se pavaner de ses multiples qualités et sa gestion exemplaire de la ville à l'époque où elle en était la cheffe.

— La maire actuelle est une vraie potiche. Il y a la rénovation de l'école primaire qui attend toujours, il y a une mauvaise gestion des logements, les projets de skatepark et de chemin pour les VTT sont à l'abandon... Si j'avais su, je me serais battue plus ardemment pour conserver le poste.

Je gardais le silence, elle s'en rendit enfin compte puisqu'elle se tourna vers moi.

— Vous vous fichez de ce que je vous raconte, n'est-ce pas ? La mairie doit être de la rigolade pour vous qui avez fait une ascension fulgurante au sein de la politique française. Emma Rey, la plus jeune députée ! Reconnue pour sa ténacité et ses idées innovantes qui la rendent populaire auprès de l'opinion publique, et surtout parce qu'elle s'est soi-disant construite toute seule, sans une quelconque aide masculine !