Chapitre 1

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Novembre 1894

Sammaël

— Promis, je ferai attention.

Je levai les yeux au ciel, désespéré par le comportement de mes parents. Leur attitude si protectrice m'aurait touché quelques années auparavant, mais j'avais désormais vingt-trois ans. J'étais capable de m'occuper de moi-même. Agacé, je récupérerai mes affaires et m'assis sur la chaise de l'entrée pour lacer mes bottes.

— Où vas-tu aussi tard ? La nuit vient de tomber, ce n'est pas prudent de sortir maintenant, s'inquiéta ma mère.

— Je te l'ai dit, le nouvel inspecteur a besoin de moi à la morgue.

Ma mère déglutit. Elle ne s'était toujours pas habituée à mon métier de fossoyeur. Depuis quelques années, trois ans tout au plus, je m'occupais des cimetières. Je me chargeais d'entretenir l'herbe et les tombes. J'enterrais également des corps après les enquêtes des inspecteurs, parfois même, je les déterrais. Un métier qui pourrait paraître bien morbide et qui était critiqué par les villageois. Pourtant, il fallait bien des gens pour faire la sale besogne.

D'une main décidée, j'ouvris la porte et m'enfonçai dans les ténèbres ambiantes des rues. L'air était froid, comme si des ongles durs cherchaient à me lacérer la peau. Ma pelle pesait lourd sur mon épaule, mais je m'y étais habitué, elle était devenue ma compagne.

L'inspecteur Thiers voulait me voir à la morgue, les cadavres s'empilaient, un tueur en série semblait s'être donné pour mission d'éliminer la population de notre petite bourgade.

Graveyard avait été construit au début du siècle dernier, près des Alpes. Une falaise surplombait les premières tombes du cimetière, là où je travaillais dès que la lune montait dans le cosmos sombre. La roche, si ancienne, faisait tomber des gravats sur les mausolées, rendant le terrain dangereux, surtout de nuit.

Les arbres, délimitant mon lieu de travail, hébergeaient des yeux qui hululaient dès que je creusais. Je ne ressentais plus la peur qui m'avait étranglée devant la grille rouillée. Un petit poids tiraillait ma poitrine, mais ce n'était pas la peur. Qu'était-ce alors ? Je ne savais pas, ce pincement n'avait rien de semblable, il n'était pas douloureux, ni même dérangeant. Il pesait simplement sur mon coeur, comme si on m'appelait à venir dans ce cimetière.

Perdu dans mes pensées, je n'aperçus que trop tard que j'étais arrivé devant la morgue. Bâtiment sombre en pierre anthracite, il était le repère de nombreux policiers qui, cherchant à résoudre les énigmes, venaient chercher l'inspiration auprès des cadavres.

— Ah, Sammaël, enfin. Nous n'attendions plus que vous, m'apostropha l'inspecteur Thiers.

— Bonjour, inspecteur, répondis-je avec un bref sourire.

Assis sur le bord d'un bureau où le médecin légiste posait divers « articles » de choix, comme un foie ou le coeur, il tenait dans ses mains gantées un parchemin. Il ne releva la tête qu'après avoir fini de lire le rapport du médecin légiste. Je n'aimais pas cet homme. Son visage, si pâle, semblait fardé, nous rappelant qu'il ne faisait pas partie du bas peuple. Il avait constamment un air arrogant, et je l'aurais volontiers enterré pour faire disparaitre ce sourire cynique. Quel abruti.

— Qu'aviez-vous à me dire de si important avant l'ensevelissement de ces corps ? demandai-je.

— Approchez.

Je fronçai les sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir. D'une démarche sûre, je rejoignis l'inspecteur près d'une table où trônait un cadavre. Il n'avait pas encore été découpé. C'était une jeune femme aux cheveux clairs et à la peau exsangue. Son visage semblait aminci, comme si elle avait été retenue captive. Sur ses côtes, une petite tache de naissance s'étendait jusqu'à se perdre sous son sein. Je la reconnus presque immédiatement.

The Blood HourglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant