Chapitre 5

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Sammaël

La porte s'ouvrit quelques heures après ce cauchemar. L'odeur rugueuse du café se répandit dans la pièce et je fronçai le nez, dégoûté par cet arôme. Faisant fi de la douleur dans mes côtes, je remontai la couverture jusque sous mon nez.

Mon corps restait douloureux. Des cicatrices subsisteraient de l'épreuve qu'il avait subie. Je devais me montrer fort, ne pas laisser les habitants briser mon esprit. Il ne fallait pas fuir, mais rester debout face à l'adversité. Je trouvai la force de m'asseoir sur le canapé alors que l'inspecteur Thiers posait son plateau et s'installait dans le fauteuil face à moi.

Je souris, étrangement rassuré par la présence de cet homme. Une vive douleur transperça ma tête et je retins une grimace. Celle-ci ne passa pas inaperçue et l'inspecteur me lança immédiatement un regard inquiet. J'inclinai légèrement le menton, essayant de lui faire comprendre que tout allait bien.

Le silence s'étira alors que l'inspecteur me versait une tasse de café. Il me la tendit d'une main assurée, mais je déclinai poliment.

— Je ne bois pas de café.

Thiers eut un sourire gêné et reposa la tasse de café avant de se saisir de l'autre carafe contenant du thé. Les volutes de fumée dansèrent au dessus du liquide ambré. La tasse réchauffa mes mains et cette douce chaleur se répandit dans mon corps. Je sirotai lentement le contenant de ma tasse.

— Comment te sens-tu ce matin ?

L'inspecteur rompit le silence avant de déposer sa tasse sur la table basse. L'inquiétude de son regard cachait sa bienveillance. Je n'osais pas lui dire la vérité.

— Mieux.

— Je te trouve toujours très pâle.

Il haussa les épaules, essayant de me pousser à la confidence. Je tentais à nouveau un sourire.

— J'ai perdu pas mal de sang, mon corps doit s'en remettre.

— En effet oui. Que veux-tu manger ?

— Oh, je ne sais pas.

L'inspecteur laissa un petit rire avant de me tendre du pain. Je saisis une tranche et humai cette délicieuse odeur. Mon ventre protesta contre la faim et j'engloutis le morceau avec plaisir. J'hésitai avant de me resservir, mais le regard inquiet de l'inspecteur m'y poussa. Une fois que j'eus mangé à satiété, je me carrai contre le dossier du canapé. Le silence menaçait à nouveau de s'étirer entre nous, mais Thiers intervint.

— Je suis désolé pour hier soir, je ne voulais pas me montrer trop intrusif.

— Ce n'est rien.

Nous nous regardâmes dans le blanc des yeux durant quelques instants. L'inspecteur s'appuya contre son fauteuil avant de croiser ses jambes.

— Tu ne m'as toujours pas expliqué pourquoi les villageois t'ont passé à tabac.

Un long soupir m'échappa et je me résolus finalement à marmonner :

— Saignement de nez.

— Pardon ? Ils t'ont frappé pour une raison si...

J'interrompis brusquement l'inspecteur.

— Les saignements de nez ne sont pas anodins dans ce village.

Thiers haussa un sourcil. Bien sûr, il venait d'arriver ici, il ne pouvait pas connaître les petites histoires de Graveyard. Saigner du  nez était très mal vu car il rappelait les exécutions des sorcières. Les enchanteresses, juste avant d'être jetées enchaînées dans le lac, saignaient du nez. Ce signe était alors associé à leur pacte avec le Diable. Celui-ci, voyant qu'il était démasqué, quittait le corps de la sorcière. Ce départ brusque provoquait un déchirement dans l'âme   de la possédée et se traduisait par un saignement de nez.

Les habitants du village me détestaient, ils me croyaient possédé par le Diable et responsable d'une malédiction. Me voir saigner du nez en public, couvert de terre et déboussolé, leur fournissait en quelques sortes la preuve que j'avais pactisé avec Satan. Une raison visiblement suffisante pour me rouer de coups.

J'expliquais juste à l'inspecteur que les villageois avaient réagi excessivement à cause de l'histoire des saignements liée à notre bourgade. L'homme ne dit rien, choqué par mes mots. Mal à l'aise, je me raclai la gorge et décidai de changer de sujet.

— Votre enquête a-t-elle avancé ?

— Non, pas d'un pouce. Personne n'a rien vu ni entendu. C'est à croire que cette fille s'est volatilisée sans laisser aucun indice.

— Il y a très peu de gens autour de Graveyard. Si elle avait été enlevée, il s'agirait de quelqu'un du village ou alors un inconnu de passage, réfléchis-je.

Inconsciemment, je cherchais des réponses. Je voulais aider l'inspecteur à démêler cette affaire de meurtre, mais je n'étais pas qualifié pour ce genre de travail.

— Si aucun des villageois n'est impliqué, que la théorie d'un inconnu de passage ne tient pas, ça veut dire qu'elle n'a pas été enlevée.

— Elle serait partie de son plein gré ? m'étonnai-je.

— J'ai interrogé la famille et sa soeur m'a confirmé que la victime n'entretenait pas de bons rapports avec ses parents. La piste de la fuite intentionnelle ne doit pas être négligée.

Vanina aurait fui le domicile familial et serait tombée sur quelqu'un de mal intentionné. Elle aurait tenté de se défendre et son agresseur l'aurait assassinée. Mais comment expliquer les traces de morsure dans le cou de la jeune femme ?

Une migraine se répandit derrière mes yeux et comprima mes tempes. Je grimaçai. Mes doigts se crispèrent si fort sur la tasse que mes jointures blanchirent. Mes paupières tressaillirent et je dus les fermer pour endiguer la douleur. L'inspecteur remarqua immédiatement mon changement d'attitude. Il déposa sa tasse sur le plateau et, après s'être levé, saisit la mienne.

— Réfléchir n'était pas une bonne idée dans ton état. Tu es encore trop fatigué.

— Mais non, tout va bien.

— Repose-toi encore aujourd'hui. Nous aviserons de ton état demain.

L'inspecteur m'offrit un dernier sourire avant de contourner le canapé. Malgré la douleur que m'arracha ce geste, je me retournai vers lui.

— Pourquoi m'aidez-vous autant ?

— Parce que je déteste l'injustice.

Après un dernier regard, il brisa l'instant et referma la porte derrière lui. Épuisé par cette discussion, je me rallongeai sur le canapé et tirai la couverture sur mon corps. Une étrange sensation avait pris place derrière mes paupières et je revis nettement le corps de Vanina. Et surtout les marques de crocs dans son cou. Je tentais de faire disparaitre cette image. Les mots de l'inspecteur me tourmentèrent jusqu'à ce que je sombre dans un sommeil agité.

The Blood HourglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant