Chapitre 11

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Astrel

Les rayons qui filtraient au travers des rideaux irritaient ma peau. Je pris congé de Sammaël avant qu'il ne remarque les rougeurs qui marquaient mes mains. Mon corps paraissait s'affaiblir au fur et à mesure que j'avançais dans le couloir. Mes forces étaient absorbées par l'astre du jour. Mon ennemi solaire ne semblait pas ravi de me voir.

Lorsque je poussai la porte de ma chambre, le soulagement m'envahit. Gorgi avait pensé à fermer les épais rideaux, plongeant ainsi la pièce dans une douce pénombre. Je détachai mes cheveux avant même d'atteindre le lit. Mon corps me lâcha et je m'effondrai au bord du lit à baldaquin. Une voix, sa voix s'éleva dans mon esprit et je lui hurlai presque de se taire.

La présence de Sammaël avait intensifié sa voix, normalement il ne venait qu'au crépuscule. Désormais, il était présent toute la journée. Il hantait chaque minute de ma vie et la rendait invivable en présence d'hôte. Je n'eus pas la force de me hisser dans le lit. Je m'endormis sur le tapis, au pied du meuble.

 Je m'endormis sur le tapis, au pied du meuble

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Son rire si désagréable me réveilla. Le crépuscule ne tarderait pas à tomber. Mon corps était meurtri par la position dans laquelle j'avais dormi. Lentement, je dépliai mes jambes et tendis les mains en avant, faisant craquer mon dos. Toutes mes vertèbres se remirent en place. Je grimaçai et dirigeai ma main tendue vers la porte, la verrouillant à distance.

Je me levai et vins m'asseoir en tailleur au centre de la pièce. Les ténèbres pulsaient au bout de mes doigts. Je sentais leur essence s'enrouler autour de ma peau et jouer avec mon sang. Grâce à ma volonté, je les tins à distance, les empêchant de prendre possession de moi.

D'étranges symboles se peignirent autour de moi, formant une sorte de pentacle, le sceau des condamnés. Ils se mirent à briller et le sang sous ma peau composa les mêmes marques. Une sensation de faiblesse, doublée d'une nausée, m'assaillit et j'eus toutes les peines du monde à résister aux forces de l'obscurité. Le Mal remonta le long de ma gorge, bloquant l'air de mes poumons. Je me mis à cracher, puis à vomir des ténèbres. La brume noirâtre se répandit sur le sol, créant d'épaisses volutes. Celles-ci finirent par s'assembler, par jouer en osmose, jusqu'à former une silhouette à peu près humaine. Elles s'amassèrent jusqu'à devenir deux prunelles rouges. La Bête sortit entièrement de mon corps alors que le crépuscule cédait la place à la nuit.

Le parasite qui incrustait mon âme prit forme humaine sous mes yeux et m'enjoignit un sourire arrogant. Ses cheveux blancs flottaient autour de son visage exsangue. Toute l'hémoglobine s'était agglutinée dans ses prunelles. Comme à chaque crépuscule, il ne me paraissait pas vraiment réel. Pourtant, je savais que mon instinct me trompait.

— Astrel, quel plaisir de te revoir.

— Le plaisir n'est pas partagé.

Alors que je haussais les yeux au ciel, ma main congédia le pentacle et les symboles cabalistiques. Ma peau brûla légèrement lorsque mon sang défit les caractères. La brûlure ne disparut pas, s'intensifiant avant de se propager dans mes veines. Je déglutis avant de me relever. La créature me fixait, mais je l'ignorai ostensiblement. Je m'assis au bureau et ouvris l'ouvrage que j'étudiais depuis trop longtemps. Un soupire me déconcentra.

— Tu t'obstines toujours à trouver une solution alors que je t'en ai déjà donné une ?

— Si on s'en tient à ta... solution, nous finirons tous les deux en Enfer. Notre âme sera détruite et notre réincarnation impossible.

La créature leva les yeux au ciel avec désinvolture. Nous n'avions pas la même ambition et s'il ne se souciait pas de son âme, moi je me souciais de la mienne. Jamais je ne permettrais que mon âme soit détruite à cause de lui. Cette malédiction n'était pas la mienne, pourquoi devais-je subir les fautes des autres ?

La colère bouillonnait dans mon sang. Je parvenais à grande peine à la contrôler. Ces siècles en la présence de ce monstre avaient mis mes nerfs à rude épreuve. La nouvelle présence de Sammaël n'améliorait pas le caractère de ce parasite.

— Pourtant tu l'as déjà trouvée, déclara l'incruste en haussant les épaules.

— Tais-toi !

Mon cri eut l'effet de figer la créature qui fronça les sourcils. Elle n'avait pas l'habitude que je m'oppose à elle. Sa magie, présente dans mon sang depuis une éternité, s'anima et une intense douleur se propagea en moi. Je retins un cri de souffrance alors que celle-ci pulsait dans mes articulations puis dans mon coeur. Mes doigts se crispèrent sur ma poitrine et même au travers de ma chemise, je sentis mes ongles s'enfoncer dans la peau. Tentant de ne pas céder face à l'affluence de la magie, je fermai les yeux. Les souvenirs affluaient et je grimaçai, peu désireux de revoir ces images.

La douleur s'estompa peu à peu. Les images disparurent et je m'effondrai presque contre le bureau. Les livres qui s'empilaient sur le bois tombèrent sur le sol. La créature se mit à rire et la colère remplaça à nouveau la douleur.

— Cesse de rire !

— Astrel, ne joue pas avec tes dettes.

— Ce ne sont pas les miennes.

Le parasite flottait au dessus du lit et observait négligemment ses ongles cassés. Il savait, tout comme moi, que ces dettes n'étaient pas les miennes. J'avais tout fait pour empêcher les débiteurs de marchander avec ce sorcier. Personne ne m'avait écouté et je jouais avec mon âme depuis des siècles.  

— Les enfants héritent toujours des dettes de leur parent.

D'un geste furieux, je renversais le reste des affaires qui s'entassaient sur le bureau. Le tout se répandit sur le sol avec fracas tandis que je lançais un regard haineux au parasite.

— Je suis mort à cause de toi ! Tu m'as transformé en monstre ! hurlai-je.

Mon corps sembla réagir à mes cris. La magie se répandit dans mes artères et réveilla la puissance millénaire qui sommeillait dans mes cellules. L'émail de mes dents commencèrent à se modifier et mes canines s'affinèrent jusqu'à former deux pieux. La cicatrice de mon visage laissait échapper du sang qui vint tinter mes prunelles émeraude d'un voile rougeâtre. Mes ongles crissèrent contre le bois du bureau alors que je montrais les dents à ce monstre. Il avait fait de moi la créature maudite de l'immortalité ; un vampire.

The Blood HourglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant