Chapitre 8

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Sammaël

Le courage m'avait fait défaut. Je n'avais pas bougé de ma chambre. J'y restai cloitré n'essayant même pas de trouver une sortie. Les paroles d'Astrel résonnaient dans ma tête sans que je ne puisse m'en défaire. Cet homme était si étrange, il me faisait peur. Certes, il m'avait secouru lors de mon agression, mais ça ne lui donnait pas le droit de m'enfermer dans son manoir.

La journée s'était écoulée longuement, rythmée par la venue de Gorgi. Le petit monstre semblait s'inquiéter de mon bien-être et ne cessait de m'interroger sur ce que je voulais. Je restais hésitant et gardais mes distances avec lui. Sa nature surnaturelle me mettait mal à l'aise, il me semblait si peu réel.

Lorsque la nuit fut bien entamée, je me résolus à bouger. Astrel devait désormais dormir. Il ne pourrait pas me retenir. Lentement, j'inspectai la chambre, mais n'y trouvai rien de suspect. Pas de passages secrets, ni de trapes dérobées. Les fenêtres m'en apprendraient davantage sur la vue extérieure. Les mains tremblantes, je tirai le rideau, dévoilant les ténèbres qui se mouvaient.

Je ne distinguai rien tant le puit de noirceur était sombre. Il n'y avait pas la moindre lueur de vie et d'espoir. Un sentiment glacé figea ma colonne vertébrale, répandant en moi le gel de la peur. D'un mouvement sec, je fermai le rideau. Ce gouffre de ténèbres semblaient m'aspirer même si la vitre de la fenêtre me protégeait. Je reculais, le coeur battant. Il fallait que je sorte d'ici.

L'esprit embrumé par mon nouveau but, je me précipitai vers la porte. Elle n'était pas verrouillée. Sans grincement, elle s'ouvrit sur un couloir. Très peu meublé, il plongeait dans les noirceurs du manoir. J'avisai le tapis sombre qui recouvrait le sol et les quelques tableaux qui comblaient les murs de pierre. Cette décoration simpliste en disait long sur la personnalité de son propriétaire. Une atmosphère étrange régnait ici, comme si une magie disparue imprégnait les parois.

Un frisson me traversa et me décida à avancer. L'air était froid, contrairement à ma chambre où l'atmosphère était plutôt chaleureuse. J'entendis presque le vent siffler entre les pierres de l'édifice. À nouveau, je frissonnai. Les volutes du vents semblaient se cristalliser dans le couloir. Cela me décida à fuir. Il y avait quelque chose d'étrange dans cet endroit.

Je me mis à courir, ne prêtant plus attention au décor froid. Les couloirs ne se succédèrent pas longtemps avant de laisser place à un immense escalier. Le hall d'entrée apparut enfin. Surplombé par un lustre de cristal, il abritait de mystérieuses ombres. Le verre semblait sombre et abîmé. Comme les différents couloirs, l'entrée était dénuée de décorations, à l'exception de ce même tapis noir.

Les hautes portes me paraissaient si hautes que je n'osai pas immédiatement m'avancer. J'inspirai longuement avant de prendre mon courage à deux mains. Les moulures anciennes du bois m'appelaient et je saisis fermement l'un des anneaux en or qui maintenaient la porte fermée. J'eus beau la secouer dans tous les sens, la boucle ne bougea pas.

Les coups de métal contre le bois attirèrent l'attention de Gorgi qui vint s'agripper à ma jambe. La présence du petit monstre me fit peur et je retins à peine un hurlement. Je projetai la créature dans le hall d'entrée avant de m'appuyer contre la porte. Gorgi reprit ses esprits, mais ne criait pas pour donner l'alerte.

— Les bruits vont alerter mon maître, couina-t-il.

Je ne prêtai aucune attention au petit monstre et continuai de frapper la porte avec l'anneau de fer. La peur se répandit dans mes veines et je m'acharnais davantage sur la boucle, m'écorchant les mains contre le bois. L'aura d'Astrel se fit sentir en haut des escaliers et je me figeai lorsque ses ongles claquèrent contre le marbre des escaliers. Ma volonté vacilla et je m'éloignai de la porte. Astrel descendait les marches dans le plus grand des silences, ses yeux émeraude fixés sur moi. Il fit un bref signe de main à Gorgi qui battit en retraite.

— Tu t'es bien reposé ?

La voix d'Astrel me parut bien plus douce que lors de notre première rencontre. Son aura semblait moins imposante, moins puissante. Son oeil gauche, traversé d'une cicatrice, ne paraissait plus voilé. Son apparence restait la même, mais il avait imperceptiblement changé.

Je gardai le silence, les jambes tremblantes. Cet homme était imprévisible, je ne le connaissais pas, je ne pouvais pas anticiper ses réactions. Un tressaillement parcourut mon corps alors qu'il descendait les marches. Il se stoppa lorsque je reculais, mais rencontrai la porte.

— Je ne pourrai pas ouvrir cette porte si tu t'appuies contre, fit-il remarquer.

— Pourquoi me gardez-vous captif ici alors ?

Il haussa les sourcils, visiblement surpris par ma réponse. Une lueur d'empathie traversa ses yeux émeraude et il tendit la main vers la porte. Celle-ci s'ouvrit délicatement et dévoila un chemin de pierre entouré d'arbres fruitiers. Leurs branches perdaient leurs feuilles et prenaient le costume de l'automne. Un vent frais soulevait la robe colorée des feuilles alors qu'une fine bruine recouvrait les marches de marbre du perron. Je clignai rapidement des paupières, persuadé qu'une vision se dressait face à moi. Astrel me désigna l'extérieur d'un signe de main.

— Tu n'es pas captif. Tu peux t'en aller dès que tu le souhaites.

Discrètement, je me pinçai le dos de la main, persuadé que je rêvais. Depuis que l'on m'avait agressé dans la forêt, j'avais l'impression que tout était irréel. Le temps semblait déformé et si faux. Astrel ne descendit pas les dernières marches de l'escalier, mais fit demi-tour.

— Tu es le bienvenu le temps que tu le souhaites. Le manoir est suffisamment grand pour deux.

— Je ne peux pas rester ici. Je ne vous connais pas, et vous non plus d'ailleurs.

— La porte t'est ouverte. Cependant, vu les raisons pour lesquelles je t'ai amené ici, je doute que tu sois à nouveau le bienvenu dans ton village.

Je déglutis alors que les paroles d'Astrel me nouaient la gorge. Au fond de moi, je ne voulais pas l'admettre, mais il avait raison. Personne ne souhaitait mon retour à Graveyard. Les villageois me pensaient sûrement mort. Et Naël, qui m'avait tendu la main alors que je me noyais dans les ténèbres, finirait pas faire son deuil et par m'oublier.

Le coeur en souffrance, percé par les griffes de la tristesse, je fermai la porte ouverte par Astrel et rejoignis l'homme qui m'était inconnu.

The Blood HourglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant