Chapitre 10

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Sammaël

Lorsque l'aube avait filtré dans la bibliothèque, Astrel m'avait laissé pour se reposer. Nous avions discuté une bonne partie de la nuit, apprenant à nous connaître. Mon hôte était loin de l'image du kidnappeur que j'avais construite.

Alors qu'Astrel était parti depuis presque un quart d'heure, Gorgi vint m'amener de quoi boire et grignoter. Je le remerciai d'un sourire timide, toujours peu habitué à la présence du petit monstre. Il restait discret, caché derrière le canapé, tandis que j'observais les couvertures anciennes des livres. Je finis par me lever et arpentai les étagères afin de trouver une lecture intéressante.

La plupart des ouvrages parlaient d'ésotérisme et des secrets des guérisseurs. D'autres abordaient les sciences qui faisaient avancer notre corps. Aucun des ces thèmes ne me parlaient, ils ne m'intéressaient pas. Je finis par en trouver un sur le métier des fossoyeurs. Un petit sourire s'inscrivit sur mon visage alors que je le saisissais. Un carnet tomba à mes pieds alors que j'extirpais l'ouvrage.

Je fronçai les sourcils et me penchai pour le saisir. La couverture en cuir avait noirci à cause du temps. Les pages étaient jaunies et j'eus peur qu'elles se déchirent lorsque je les tournerais. Je finis par l'ouvrir. L'encre avait bavé, détruisant le nom de l'auteur et la date de rédaction. Délicatement, je tournai la première page. Là aussi, la date avait été effacée, mais le reste du texte était intact. Ma curiosité me poussa à lire les quelques lignes.

«  Si tu lis ce récit, c'est que celui que j'ai été est mort. Je relate ma vie pour que ceux qui y auront accès ne reproduisent pas mes erreurs... ».

L'écriture était élégante, écrite avec une plume au bec fin. La calligraphie me paraissait étonnamment ancienne. Je jetai un regard à Gorgi. Le petit monstre s'était endormi contre le canapé, il n'avait rien vu. J'eus un instant d'hésitation avant de continuer ma lecture.

« Le début de la fin a commencé un soir d'orage. Les éclairs déchiraient les nuages sombres. Une fine pluie arrosait les champs. Mais bien vite, cette bruine inoffensive qui durait depuis plusieurs jours se mua en pluie torrentielle. Elle détruisit tout sur son passage. Les sols fertiles et les graines plantées. Les maisons en bois, comme les fermes, cédèrent face à ces averses. Les récoltes furent détruites. Les voies de communication furent coupées, isolant notre bourgade. Les secours ne vinrent jamais. »

— L'invité de mon maître a trouvé une lecture intéressante ?

Je sursautai et faillis lâcher le carnet. La créature m'avait surprise, je pensais qu'elle dormait. D'un geste calme, je glissai le petit livre dans ma poche et me retournai tout en adressant un petit sourire à Gorgi. Je lui indiquai l'ouvrage sur les fossoyeurs que j'avais gardé en mains. Un mauvais pressentiment serra ma poitrine. Il ne fallait pas que je parle de ce carnet. Les premiers mots me donnaient l'impression qu'il recelait beaucoup de secrets inavoués.

Alors je fis profil bas et décidai de retourner dans ma chambre. Selon l'horloge, midi n'était pas encore passé. J'avais encore un peu de temps pour me reposer et étudier ce mystérieux carnet.

Assis dans le fauteuil de ma chambre, je contemplais la couverture noire du carnet

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Assis dans le fauteuil de ma chambre, je contemplais la couverture noire du carnet. Un petit sablier ornait le haut du cuir. Je passai un pouce dessus et une étrange sensation de chaleur envahit la pulpe de mon doigt. Au fond de mon esprit, j'entendis des murmures s'élever. Des cris indistincts les remplacèrent et je déglutis difficilement, terrifiés par ses voix qui hantaient mon âme. J'avais eu l'espoir qu'elles ne me poursuivraient pas ici, qu'en présence d'Astrel, elles cesseraient. Mais rien n'avait cessé, elles me hantaient toujours. Je tentai de blinder mon esprit, les empêcher de me rendre fou.

J'ouvris brusquement la page de couverture. Les voix se turent immédiatement et un silence pesant s'imposa dans ma tête. Je reclus mon angoisse au fond de mon coeur et tournai les pages pour retrouver mon passage.

« ... Les secours ne vinrent jamais. La population commença à manquer de vivres et de ressources. Les terrains étaient engorgés d'eau, inutilisables pour planter de nouvelles récoltes. Les animaux s'étaient enfuis lors de l'orage et certains avaient été retrouvés foudroyés sous des arbres effondrés. La famine ne tarda pas à frapper le village. Les plus faibles moururent les premiers tandis que les autres essayaient de résister à la faim. La soif arriva lorsque les dernières bêtes furent sacrifiées. À ces carences, s'ajustèrent les maladies comme le scorbut et la dysenterie, détruisant une deuxième partie de la population. La psychose s'enracina profondément... »

Je déglutis, imaginant la panique des habitants lorsque les ressources vitales manquaient et que les maladies se développaient. Que ressentait-on lorsque tout ceux que nous aimions mourraient ? Chassant cette terrible réflexion de mon esprit, je me replongeai dans ma lecture.

« ... C'est lorsque les rats envahirent la ville, afin de grignoter les cadavres que les fossoyeurs n'avaient pas encore enterrés, qu'IL surgit dans la bourgade. Il se présenta aux portes du château lorsqu'une épidémie de peste, amenée par les rongeurs, terrassait les survivants... ».

Je posai le carnet, dégoûté et déprimé par ce si triste récit. L'écriture interpella mon attention, elle ne ressemblait pas à celle d'un roman ou d'un écrit scientifique. L'histoire vraie qui y était contée me fit frissonner et je ne pus continuer, du moins pour l'instant.

Alors que je refermai la couverture de cuire, une étrange sensation reprit place dans mes doigts. Elle glissait le long de ma peau et s'infiltrait dans mes vaisseaux sanguins. Des images inconnues parcoururent mon esprit si rapidement que je ne parvins pas à les distinguer. Les voix s'éveillèrent et piaillèrent lorsque je lâchai l'ouvrage ancien. La chambre tanguait et s'obscurcissait, le crépuscule tombait. J'implorai une divinité inconnue tandis que les voix murmurantes broyaient mon esprit et ma volonté. Un hurlement les fit cesser. Réel, l'écho du cri semblait se répercuter dans les tréfonds du manoir.

Tentant de reprendre mes esprits, je fis glisser le carnet sous le lit et vacillai jusqu'à la porte. Ce dernier hurlement n'était pas dans ma tête, il provenait d'un habitant du manoir. Alors que l'atmosphère se modifiait imperceptiblement, engluant la demeure dans une marre de ténèbres, j'ouvris la porte à la volée. Je devais aider le détenteur de cette détresse, soit qui d'autre qu'Astrel.

The Blood HourglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant