Sammaël
Une semaine s'était écoulée depuis l'incident. Mes plaies avaient en partie cicatrisé bien que certaines restaient douloureuses. Des rêves troublaient toujours mon sommeil. Le soir venu, je craignais de fermer les paupières et d'entendre à nouveau ces voix. Ces murmures qui me chuchotaient que j'étais des leurs, qui m'enjoignaient à les rejoindre dans le cimetière.
Depuis mon malaise devant la tombe de Vanina, je n'avais pas remis les pieds sur mon lieu de travail. La peur me saisissait à la gorge dès que j'y pensais. L'inspecteur Thiers faisait attention aux moindres de mes changements d'humeur. Il était prévoyant et avait accepté de me loger gratuitement pour une durée indéterminée. J'avais mal jugé cet homme. Son air arrogant n'était qu'une façade. Il se souciait réellement du bien-être des autres et de trouver la justice en ce bas monde.
— Toujours rien sur l'enquête ? demandai-je en entrant dans la cuisine.
Naël était assis devant un café noir et feuilletait les rares pages du dossier de Vanina. Des cernes creusaient ses yeux, il paraissait épuisé.
— Toujours rien, murmura-t-il en replaçant une mèche de ses cheveux sombres. On piétine.
Il referma le dossier avec rage. Je m'assis face à lui et me saisis d'une tasse et de la théière. Le liquide ambré fumait et dégageait une légère odeur amère. J'y ajoutai un peu de sucre afin d'adoucir le mélange. Le thé me brûla les lèvres.
Nous avions beau réfléchir, l'énigme restait entière et aucun indice ne se présentait. Nous n'avions aucune piste et encore moins un suspect. Naël commençait à s'impatienter et perdait espoir de trouver quelque chose.
— Et si ce n'était pas un homme qui avait tué Vanina ?
— Comment ça ? s'enquit l'inspecteur en fronçant les sourcils. Si ce n'est pas un homme, qu'est-ce donc ?
— Un loup, ou une Bête.
— Les morsures ne ressemblaient pas à celles d'un loup.
— Mais à celle d'une Bête oui.
Naël haussa un sourcil et pencha la tête de côté. Il comprit presque immédiatement que je parlais du conte pour enfants, si réputé dans notre village. Il finit par secouer négativement du chef, ne me laissant pas la possibilité d'argumenter davantage. J'eus un vague mouvement des épaules et me levai. Je n'avais plus remis les pieds dehors depuis mon agression. L'air frais me manquait, j'avais besoin de sortir d'ici, même pour un court instant. Je me déplaçai lentement vers la porte.
— Où est-ce que tu vas ? m'interpella l'inspecteur.
— Je vais me promener.
Naël haussa un sourcil et se détourna de sa tasse de café. L'inquiétude faisait briller ses yeux sombres.
— Je n'irai pas loin, promis.
— Est-ce vraiment sûr ? Tu viens à peine de te remettre.
— Ne t'inquiète pas, je ne suis pas une petite chose fragile, je suis capable de me défendre seul. Je suis très touché par ton aide, mais j'ai besoin de respirer de l'air frais.
L'inspecteur m'adressa un petit sourire contrit avant de me laisser sortir. Je lui étais reconnaissant de tout ce qu'il avait fait pour moi, mais je devais avouer que rester enfermé n'était pas ma tasse de thé.
Je me couvris suffisamment et entourai mon cou d'une épaisse écharpe. Le vent sifflait et me gifla le visage alors que je franchissais le perron. Un frisson me secoua et je croisai mes bras autour de mon corps. Le froid s'engouffra sous mes vêtements et je me mis à marcher, essayant de ne pas prêter attention aux bourrasques qui me ballotaient.
L'inspecteur Thiers habitait en périphérie du village, si bien que je ne m'approchai pas du centre. Aucun des habitants ne me vit et je continuai ma route en direction de la forêt. Graveyard était entouré à la fois par une falaise et une forêt. La petite bourgade était isolée, bordée par les éléments naturels. Personne ne quittait Graveyard. Celui qui y naissait, y mourrait.
Les branches des arbres se balançaient au rythme du vent et s'entrechoquaient. Des bruits secs raisonnaient à mesure que j'avançais sur le chemin boueux. Je m'enfonçais longuement dans le bois, observant les rares organismes qui avaient survécu au froid de novembre. Les bourrasques frappaient mon corps et mes pensées m'entrainèrent dans un tourbillon de bien-être.
Un craquement plus sourd que les autres se fit entendre. Il m'alerta immédiatement. Je tendis l'oreille tout en me retournant. Personne. J'étais seul sur ce sentier. Pourtant, un étrange sentiment me broya la poitrine. Un instinct me poussa à rebrousser chemin, à retourner auprès de Naël. Et c'est ce que je fis, du moins tentais de faire.
Alors que je me rapprochais de la lisière de la forêt, des voix se firent entendre. Ce n'étaient pas les murmures qui broyaient mon esprit, mais ceux d'hommes du village qui se rapprochaient de moi. Mon coeur loupa un battement avant qu'il ne se serre douloureusement. La peur se distilla dans mes artères.
Inconsciemment, je restai pétrifié sur le chemin boueux. Deux silhouettes se rapprochèrent, mais je ne parvins pas à bouger. Des gouttes de sueur se mirent à perler dans mon dos et je frissonnai. Des mots plus forts que les autres me tirèrent de ma léthargie.
— Quelqu'un revenu de l'oubli.
La voix rauque du boucher me fit tressaillir et je reculai sur le sentier, le plus loin possible de ces deux personnes. Debout face à moi, ils me fixaient avec haine et étaient près à me détruire d'un coup de poing. Leurs yeux me pétrifiaient. Un bref silence s'installa. L'un des deux hommes sortit une sorte de couteau. J'écarquillai les yeux et, dicté par ma peur, je pris la fuite.
Je m'éloignais considérablement du village, m'enfonçant dans le cœur de la forêt. L'adrénaline pulsait dans mes artères et me faisait avancer sans que je ne prête attention aux cris de douleur de mon corps. Mes poumons brûlaient et je craignis de devoir les cracher. L'écharpe qui enserrait mon cou ne me permettait plus de respirer et je tentais de m'en débarrasser.
Mes pieds rencontrèrent une racine et je piquai du nez. Mon visage percuta le sol avec violence et des brindilles griffèrent ma peau. Du sang emplit ma bouche, je m'étais mordu la langue. Une vive douleur éclata dans ma cheville. Et je sentis les larmes monter lorsque je tentais de la bouger légèrement. Avec difficulté, je parvins à me mettre sur le dos.
Les deux hommes m'avaient rattrapé et l'un d'eux sourit d'une manière qui me fit frissonner. Celui avec le couteau s'approcha de moi et voulut me saisir à la cheville. Je lui décochai un violent coup dans la mâchoire et me reculai. Une insulte fusa et il leva son arme, prêt à l'abattre dans mon ventre. Je hurlai et suppliai une quelconque force supérieure de me venir en aide.
Le cri du deuxième homme se mêla au mien alors qu'un vent plus violent se levait. Un étrange bruit retentit et mon agresseur se retourna, l'air inquiet. La terreur se peignit sur son visage tandis qu'une étrange silhouette blanchâtre sortait des arbres. J'écarquillai les yeux alors que le fantôme disparaissait. Un autre bruit se fit entendre juste avant que la tête du boucher ne roule à mes pieds. Le sang se répandit dans la boue et sembla glisser jusqu'à moi.
Ma tête se mit à tourner tandis que j'apercevais les deux cadavres tombés dans la boue. La bile monta dans ma gorge et je vomis. Une sensation de malaise me submergea et je sentis les larmes envahir mes joues. Ma vision se troubla et des points noirs brouillèrent mon attention. Je m'évanouis alors que l'odeur du sang s'élevait dans la forêt.
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The Blood Hourglass
VampirLa peur et l'incompréhension mènent à la haine. Sammaël subit depuis des années la méfiance des habitants de Graveyard. Lorsque un meurtre survient dans la petite bourgade, une vieille légende, murmurée aux enfants, refait surface. La Bête des cont...