Chapitre 7

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Sammaël

Le manque de luminosité finit par me réveiller. Mes paupières tressaillirent et je m'attendais à trouver le regard inquiet de Naël une fois éveillé. Je ne trouvai qu'un plafond sombre orné d'un lustre de cristal. Les lourds rideaux masquaient le soleil et plongeaient la pièce dans de douces ténèbres.

Le chaud duvet recouvrait le lit dans lequel j'étais allongé. Étonnamment, je ne ressentis aucune douleur. Mon corps, malgré les épreuves traversées, semblait se porter bien. Aucune bande de gaze n'entourait mon corps et les plaies qui avaient taillé ma peau n'existaient plus. 

Je déglutis, perturbé par ce nouveau décor. Où avais-je atterri ? Et où était Naël ? Son absence m'angoissait bien plus que je ne voulais le reconnaitre. Lentement, je me redressai dans le lit, les coussins empilés derrière ma tête tombèrent dans mon dos. Du coin de l'oeil, j'aperçus mes vêtements sales soigneusement pliés sur un fauteuil. Je les saisis et les enfilai précautionneusement, même si mes blessures avaient disparu.

Le cliquetis d'une serrure se fit entendre. Je me raidis avant de me tourner vers la porte. Une fine ligne de lumière se dessina sur le sol. Pourtant, aucune silhouette n'apparut dans le chambranle de la porte. Mes épaules s'affaissèrent de soulagement et un soupir m'échappa. Des pas résonnèrent sur la moquette et une petite voix chétive les accompagnèrent.

— L'invité du maître est réveillé ?

Je baissai la tête et mes yeux, malgré l'obscurité, distinguèrent une petite silhouette. Le monstre vert aux oreilles pointues se déplaçait lentement jusqu'à moi et m'observait de ses yeux globuleux. Le haut de son crâne était couvert d'une sorte de bonnet rougeâtre et son corps frêle habillé d'une tunique de la même couleur. La petite créature entrelaçait ses doigts longilignes tout en me fixant d'un air apeuré.

La stupeur me figea alors que je fixais cet être d'un oeil écarquillé. Qu'était-ce donc ? M'étais-je tapé la tête au point d'avoir des hallucinations ? Le mouvement du petit monstre me ramena à la réalité et la peur se dilua instantanément dans mes veines. Je reculai et percutai la table de chevet qui se trouvait à côté du lit. Précipitamment, je saisis le chandelier posé sur la tablette et le brandis comme une arme devant la menace de la créature.

Le petit monstre plaça ses deux mains devant lui, me signifiant qu'il ne me voulait aucun mal. Mes mains tremblotaient sur l'or du chandelier, je ne parvenais pas à éliminer l'angoisse qui me tenait à la gorge.

— L'invité de mon maître a-t-il faim ?

Les mots ne franchirent pas ma gorge, mais je baissai le chandelier.  Où avais-je atterri ? La chambre me paraissait bien trop luxueuse pour être une habitation de Graveyard. Le chandelier m'échappa et se fracassa sur le sol. Il émit un tintement aiguë qui résonna contre les murs bruts. La petite créature sursauta et se cacha sous le fauteuil. Je clignais rapidement des paupières et profitai de la peur du monstre pour courir vers la porte.

Celle-ci s'ouvrit avant même que je ne l'atteigne. Je reculai vivement avant de percuter le panneau de bois. Une silhouette se dessina dans le chambranle et je fus tenté de rejoindre le petit monstre sous le fauteuil. Pourtant, je ne bougeai pas. L'aura sombre de l'inconnu me pétrifia sur place. Il dégageait quelque chose d'inhabituel, quelque chose de presque menaçant. Il finit par avancer vers moi. À cause de ses longs cheveux, je crus distinguer une femme, mais sa mâchoire carrée m'en dissuada. J'avais bel et bien à faire à un homme.

Il me fixait de ses prunelles émeraude dont l'une d'elles était recouverte d'une sorte de voile opaque. Il ne voyait que d'un œil. Ses cheveux, un dégradé passant du gris quartz au gris perle puis au blanc, encadraient un visage froid aux traits tranchés. Une longue cicatrice barrait l'un de ses yeux et une partie de son sourcil droit. À l'intérieur de ses prunelles vertes, je ne lus que de la glace. Un miroir qui ne me renvoyait que mon visage terrorisé.

— Mon maitre ! L'invité s'est réveillé.

— Merci, Gorgi. Prévois ce qu'il faut pour le déjeuner.

Le petit monstre sortit en sautillant, me laissant seul avec l'inconnu. Sa voix, aussi glaciale que ses yeux, me statufia sur place. Mon sang se cristallisa dans mes vaisseaux et mes mains se mirent à trembler alors que discrètement je cherchais le chandelier.

— Heureux de voir que tu vas mieux.

L'homme esquissa un sourire qui ne parut pas sincère. Je déglutis et pliai les doigts pour sentir le sang qui les irriguait.

— Qui êtes-vous ? murmurai-je.

— Je m'appelle Astrel von Keyserling.

Ce nom résonnait en moi comme un écho. J'avais l'impression d'avoir déjà entendu ce titre. J'eus beau fouiller ma mémoire, je n'y trouvai rien. Mon attention était exclusivement fixée sur ses yeux émeraude.

— Et toi, tu es ? me demanda l'homme.

— Sammaël.

— Enchanté de te rencontrer, Sammaël.

Toujours ce sourire qui n'était pas chaleureux. Mon coeur palpitait sous l'effet de l'adrénaline. Mon corps tressaillit de nervosité et, sans m'en rendre compte, j'effleurai ma tâche de naissance du bout du pouce. Mes pensées n'étaient pas cohérentes, je ne parvenais pas à les construire tant que ces énigmatiques prunelles me fixaient.

Astrel détourna finalement le regard alors que des rayons de soleil filtraient au travers des épais rideaux. Il les reporta sur moi.

— Gorgi s'occupera de tout ce dont tu as besoin, n'hésite pas à lui demander. Profite-en aussi pour te reposer, tu n'étais pas en très bon... état lorsque je t'ai récupéré dans la forêt.

— Oh... euh je ne vais pas rester davantage.

L'homme haussa un sourcil étonné avant d'émettre un petit rire.

— Je ne te laisse guère le choix, Sammaël. Ce manoir sera ta nouvelle demeure jusqu'à ton rétablissement.

Mes yeux s'écarquillèrent et mon coeur loupa un battement alors que je comprenais le sens de ses propos. Une désagréable sensation se répandit dans ma bouche et dans ma mâchoire. Mes tremblements s'intensifièrent et je sentis la douleur revenir. La peur se distillait dans mon corps et semblait paralyser toutes mes pensées.

— Non... je ne peux pas rester ici !

— Ton corps a besoin de repos. Tu peux rester ici le temps que tu veux, alors essaie de t'adapter au manoir.

Il haussa distraitement les épaules avant de tourner les talons. Ses cheveux suivirent son mouvement brusque alors qu'il se dirigeait vers la porte. Il ne prit même pas la peine de la verrouiller.

La tension se relâcha et les larmes franchirent la barrière de mes paupières. Mes jambes se dérobèrent sous mon poids. Je couvris mon visage de mes deux paumes et pleurai de tout mon soûl.

The Blood HourglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant