Chapitre 3

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Sammaël

La chaleur des rayons du soleil chatouilla ma peau. Lentement, je me réveillai, m'extrayant du bourbier mental dans lequel je me trouvais.

La boue collait à mes vêtements et maculait ma peau de taches sombres. Certaines avaient d'ailleurs séché grâce à l'astre du jour. Le sol ne me retenait plus prisonnier et je parvins, malgré les vertiges qui m'assaillaient, à me redresser et à m'asseoir. Le décor avait cessé de tanguer et je parvins, sans trop de difficultés, à me lever.

Les voix s'étaient tues, elles ne murmuraient plus à mon esprit, ne tentaient plus de me convaincre. Le silence dans ma tête me paraissait assourdissant, si bien qu'une migraine menaçait de pointer. Un instant, je fermai les paupières, vérifiant que les murmures ne reprendraient pas une fois dans les ténèbres. Rien ne se produisit, le silence me répondit.

Le soleil me paraissait déjà haut dans le ciel, la matinée devait être bien entamée. Désorienté, je cherchai des yeux mon matériel et réalisai que je n'avais pas enterré le corps de Vanina. Pourtant, je ne trouvai aucune trace d'elle, elle avait disparu. À mes pieds, de la terre avait été remuée et formait un petit tas au bord d'un trou. Il n'y avait cependant aucun corps dans cette tombe improvisée.

L'incompréhension monta en moi et un frisson me parcourut. Tout me semblait irréel, je n'aimais pas ça. J'inspirai profondément, comme un noyé qui tentait désespérément de remonter à la surface. Des questions tournoyaient dans mon esprit et rapidement, je les écartai, les emprisonnant dans un coin de mon esprit pour ne plus souffrir. Un poids pesait sur ma poitrine, je craignais que les voix ne reviennent me torturer.

Sans réfléchir, je saisis ma pelle qui trainait au sol et piochai dans le tas de terre. Par gestes saccadés, je rebouchai le trou sans corps à l'intérieur. La sueur trempait mon front et quelques gouttes glissèrent le long de mon nez avant d'atteindre mes lèvres. Un goût salé et ferreux commença à flotter sur ma langue. Je ne cessais de déglutir tant ma gorge était sèche. Cette situation absurde semblait court-circuiter mon esprit.

Lorsque j'eus tassé la terre, je m'autorisai à cesser mes mouvements incohérents et à respirer calmement. Un vent froid souleva mes cheveux et j'eus à nouveau un frisson. Le temps s'était dégradé en ce début de novembre, la neige arriverait bientôt. Alors que mon corps esquissait un nouveau tressaillement, je tournai les talons.

Je ressentais le besoin pressant de quitter ce cimetière. Il ne m'appelait plus, bien au contraire, il me repoussait, m'ordonnait de quitter sa terre. À nouveau, je me sentis épié, surveillé. Je pressais le pas et me mis à courir, dérapant dans la boue encore humide.

Je ne ralentis que lorsque la grille du cimetière se referma derrière moi. Le souffle court, je tentai de reprendre une respiration normale. Mon coeur battait vite, frappant ma poitrine avec force. Tremblant, je me mis en route vers la maison.

Lorsque je parvins aux premières maisons, la cloche de l'église sonna. Je sursautai, surpris et déboussolé. Des cris et des exclamations de joie me parvinrent. De la musique s'éleva et couvrit l'agitation.

Et puis je me souvins. Le début de novembre marquait la fin de l'Inquisition à Graveyard. Le dernier Inquisiteur avait quitté le village peu après avoir acquitté une femme. Elle fut la dernière accusée de sorcellerie et la première à ne pas mourir sur le bûcher. Depuis ce jour, chaque mois de novembre était à la fête. Les habitants célébraient ce jour de justice qui avait sauvé la vie d'une innocente.

Une couronne de chrysanthèmes était dressée sur la place publique, les balcons ornés avec la même fleur et le sol décoré de peintures à la craie. Le village débordait de joie et de vivacité, une atmosphère festive qui ne prenait vie que lors de cet événement.

Je ralentis brusquement le pas, peu enclin à faire la fête. Les étranges événements du cimetière m'avaient épuisé et je ne rêvais que d'une chose : prendre un bain et dormir. Mais pour accéder à mon bonheur, je devais traverser la place du village.

Une vive douleur cingla ma tête et je posai une main contre ma tempe pour tenter de l'atténuer. À nouveau, j'eus l'impression qu'on m'épiait. Je repris ma marche, tremblant de fatigue. Le brouhaha se rapprocha et les premiers habitants qui dansaient apparurent dans mon champ de vision. Ils avaient tous revêtu de magnifiques costumes colorés et extravagants. Main dans la main, ils s'entrainaient dans des rondes endiablées aux rythmes des violons.

Cette vision m'hypnotisa et je restai un instant figé à côté d'une ruelle adjacente. Les villageois ne remarquèrent pas tout de suite ma présence. La fête les absorbait trop pour qu'ils s'inquiètent de mon cas. Pourtant, les enfants qui courraient entre les adultes ne tardèrent pas avant de s'approcher de moi. Ils attirèrent l'attention de leurs parents qui me fusillèrent du regard.

Le temps sembla se figer, les musiciens cessèrent de jouer et la joie retomba. La peur remplaça la haine dans les regards et certains enfants pleuraient presque en reculant brusquement. Je fronçai les sourcils, surpris et inquiet de provoquer une telle réaction. Une sensation étrange me poussa à passer un index sous mon nez. Il revint trempé de sang.

Le liquide carmin tombait par perle sur mes vêtements, puis sur le sol. Je tentais tant bien que mal d'éponger l'hémoglobine. L'épanchement, étonnamment noirâtre, ne cessait de couler tandis que les habitants me regardaient médusés.

— Le Mal s'est emparé de lui.

Sa croix dirigée vers moi, le curé du village murmura ces mots. Sa réaction sembla réveiller les gens autour de lui. Certains villageois reculèrent, cherchant à s'éloigner de moi, alors que d'autres se saisissaient d'objets contondants. La peur se mêla à mon état de malaise et j'écarquillai les yeux lorsqu'un vieillard tenta de me frapper avec sa canne.

J'évitai son coup mais un autre me percuta à la tempe. La douleur explosa dans mon crâne et je vacillai, fermant les paupières pour atténuer les lancées. D'autres coups ne tardèrent pas et je me retrouvai projeté au sol, tabassé par les gens de mon propre village.  Je hurlai lorsque mes côtes se brisèrent. La douleur me coupa le souffle, les larmes se mêlaient au sang et brouillaient ma vue. La notion du temps m'échappait et ma vision se troubla. La souffrance physique m'avait anesthésié et je commençais à perdre connaissance. Je n'entendais même plus les cris de haine des villageois. Le sang qui coulait de mon nez me paraissait désormais bien dérisoire.

Sans que je ne m'en rende vraiment compte, les coups cessèrent. Ma respiration devint si erratique que je restais étendu au sol, me noyant dans la douleur. Ma vision était floue et je parvins, malgré les griffes qui tenaillaient ma poitrine, à me mettre sur le dos. Une silhouette sombre se pencha au dessus de moi et obscurcit davantage ma vue.

L'inconnu me saisit sous les épaules et m'aida à me redresser. Il me laissa quelques secondes pour reprendre mon souffle avant de me lever. Le sol tangua, je n'avais plus aucun équilibre. Mon sauveur me soutint fermement et me fit avancer lentement. La foule se dispersa à notre passage non sans m'invectiver. Le trajet se passa dans le brouillard, ma mémoire défaillait.

Mon corps s'effondra sur un canapé de cuir et je retins un hurlement en mordant mes lèvres. Une atmosphère chaleureuse m'enveloppa et, terrassé par la douleur, je fixai la silhouette d'un air hagard avant de m'évanouir.

The Blood HourglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant