Chapitre 14

57 13 35
                                    

Sammaël

La pupille s'était tant dilatée que la prunelle verte disparaissait presque. Astrel était figé face à moi. Il n'avait pas descellé les lèvres, même pour se resservir à boire.

Ce fut finalement Gorgi qui rompit l'atmosphère. La petite créature ramassa immédiatement les morceaux de cristal qui tintèrent entre eux. Astrel sembla reprendre une inspiration et le diamètre de ses pupilles se rétracta. Un masque de glace figea ses traits alors qu'il ouvrait enfin la bouche.

— Les guérisseurs ne parlent pas aux esprits. En revanche, certains devins le peuvent.

Il haussa légèrement les épaules, remettant sa chemise en place. Depuis le début du repas, mon hôte paraissait étrange, mais cette conversation sur les guérisseurs semblait le mettre réellement mal à l'aise. Je m'éclaircis la gorge tandis que mon corps s'engourdissait.

— Mais comment les devins peuvent-ils communiquer avec des morts ?

— Je ne sais pas, je ne suis pas devin.

Astrel se leva et je remarquai d'étranges marques rouges sur ses mains. Il fit un geste vague avant de fixer ses prunelles vertes dans les miennes.

— Tu trouveras sûrement des réponses dans la bibliothèque. Maintenant, tu m'excuseras, je me sens fatigué.

Astrel n'attendit même pas ma réponse et quitta la salle à manger. Son attitude était étrange, encore plus que d'habitude. Il s'était refermé comme une huître alors que la magie se diluait dans l'atmosphère. Elle avait faibli et je me demandai si la chute de cette magie avait un rapport avec l'attitude de mon hôte.

Les guérisseurs, devins, esprits, tous avaient un lien. Et la réaction d'Astrel me conforta dans cette direction. Il fallait que je me renseigne et que je trouve davantage d'informations pour comprendre ce qui se passait dans ce manoir. Si Astrel ne voulait pas m'aider à décoder ce mystère, je trouverais les réponses par moi-même.

J'avais finalement renoncé à me rendre à la bibliothèque et m'étais gentiment assis dans ma chambre pour continuer la lecture de mon carnet

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

J'avais finalement renoncé à me rendre à la bibliothèque et m'étais gentiment assis dans ma chambre pour continuer la lecture de mon carnet. La discussion que j'avais eue avec Astrel m'avait fait penser à ce récit. Je m'étais arrêté au moment où un devin donnait des conseils pour éviter une guerre civile. Cette narration pourrait peut-être m'en apprendre davantage sur ces individus pouvant communiquer avec les esprits.

« Pour éviter un nouveau drame qui prendrait l'aspect d'une guerre civile, les seigneurs s'en remirent à ce devin. Mais celui-ci ne dit rien, il n'eut aucune vision. Les esprits n'avaient rien à dire. Alors que les choses s'empiraient, le seigneur du village supplia le devin de faire quelque chose malgré l'absence de visions. Le noble lui proposa un marché : sauver le royaume et la fortune familiale contre le souhait le plus cher au devin. Celui accepta la proposition et partit s'isoler dans une des tours du château. »

Je déglutis et constatai que ma fréquence cardiaque avait augmenté.

« Le malheur qui s'était abattu sur la bourgade sembla se résorber jusqu'à disparaitre totalement au bout de quelques jours. Le soleil revint enfin et dissipa les nuages qui pleuraient sur les champs. Les rats quittèrent les rues et la maladie sembla les suivre. Les premières naissances succédèrent aux derniers décès. Le bonheur revint bâtir l'existence des villageois. »

Un bête sourire se dessina sur mon visage, mais il disparut bien vite alors que je continuais ma lecture.

« Le seigneur et sa femme furent heureux de voir leur peuple à nouveau vivant. Mais ils oublièrent bien vite le marché conclu avec le devin. Celui-ci ne tarda pas avant de réclamer son dû. Il ne voulait qu'une chose : une âme suffisamment pure qui puisse le libérer des murmures des esprits. Mais surtout, il ne voulait pas l'âme de n'importe qui, il exigeait la mienne. Le seigneur, mon père, refusa. Le devin entra dans une terrible fureur et lança son avertissement. Si avant le solstice d'hiver il n'obtenait pas mon âme, nous serions nous aussi maudits. À cet instant-là, je ne réalisais pas que le vrai malheur ne s'était pas encore abattu. »

Comme à chaque fois que je lisais ce récit, j'étais pris de déprime. Je posai le carnet et m'affaissai dans le fauteuil. Malgré ma lecture, je ne parvenais pas à oublier le comportement d'Astrel. Le devin se retrouvait dans ce récit et dans les mots de mon hôte. Je ne pouvais m'empêcher de penser qu'un infime lien les reliait. Un grognement m'échappa, toute cette histoire me torturait. Peut-être que quitter le manoir me permettrait d'oublier ces tourments.

Mais je n'avais nulle part où aller. Les habitants de mon village me haïssait et Naël Thiers me pensait sûrement mort. Astrel était mon seul recours. Alors j'oubliai mon idée de fugue et remis le carnet sous le lit. Je partis explorer le manoir. Si je devais vivre ici pour plusieurs temps, autant connaître cet endroit.

Astrel se reposait et Gorgi était resté aux côtés de son maitre. J'avais donc le champ libre pour explorer l'habitation.

L'atmosphère me paraissait étrangement moins glaciale que la nuit. Cette magie millénaire était moins puissante, plus diluée. Je ne la sentais plus pulser sur ma peau. Elle ne glaçait pas mon sang, ne le rendait plus visqueux. Je me sentais... à ma place dans ce manoir.

Je glissai dans les escaliers et faillis me briser la nuque sur les marches de marbre. Ce petit incident eut pour effet de remettre de l'ordre dans mes pensées. Je laissai de côté mes réflexions et descendis jusqu'au hall d'entrée. 

Après plusieurs minutes de marche dans le manoir, j'entrai dans un salon. Une cheminée trônait entre deux canapés. D'étranges motifs étaient sculptés dans la pierre. L'âtre ne contenait aucune bûche, mais seulement des cendres. Je restai figé un instant sur le pas de la porte. Mes yeux s'accrochaient à l'un des symboles, un pentacle entouré de deux serpents.

Une étrange sensation se répandit dans mes artères et un doigt glacé glissa le long de mon dos. Je sentis mes vertèbres s'entrechoquer et je frissonnai. Un murmure parvint à mes oreilles et sembla m'envelopper dans une sorte de cocon. Je ne distinguai pas les mots de cette voix, mais elle ne m'était pas inconnue.

Instinctivement, je m'approchai de la cheminée. Le ton enfla et je parvins à distinguer quelques mots. Cette voix, c'était celle qui m'avait enjoint à rejoindre les ténèbres, celle qui parlait avec Astrel. Les interrogations que j'avais enfouies au fond de mon esprit ressurgir. Je suivis les paroles du fantôme et effleurai le pentacle du bout des doigts. Le fond de la cheminée se déroba et laissa apparaitre l'entrée d'un souterrain. Un vent glacial vint me frapper au visage et des frissons secouèrent mon corps.

« Viens rejoindre les Maudits, Sammaël ».

The Blood HourglassOù les histoires vivent. Découvrez maintenant