Chapitre 18.

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Je n'ai pas dormi cette nuit-là. Le vent soufflait trop fort et s'infiltrait entre les murs de la maison à chaque heure qui passe un peu plus violemment. Les fenêtres étaient mal isolées, le toit abîmé par endroit – la maison était vieille et je n'avais pas assez de force, de temps et de matériaux pour la rénover entièrement. Je suis sorti de chez moi aux aurores pour vérifier qu'il n'y avait pas de dégâts et pour solidifier l'enclot des poules. La tempête n'avait pourtant pas encore frappé la porte : le vent qu'on entendait alors, ce n'était que les prémices de ce qui viendrait ensuite. La menace grondante du monstre qui allait bientôt arriver et s'abattre sur la Bretagne et la côte normande. Je n'étais pas le seul à me préparer, car nous avions l'habitude de ce genre d'événements ; une fois par an au moins, la mer nous rappelait que nous n'étions rien d'autre que des mortels. Elle nous montrait toute sa force et sa grandeur, son immortalité et sa puissance, et nous comprenions à chaque fois qu'elle était plus forte que nous tous. On ne pouvait rien construire qu'elle ne puisse pas nous enlever. La maison la plus solide du monde ne lui aurait pas résisté ; et quand elle se mettait ainsi en colère, la mer, il fallait mieux ne pas se trouver dans son sillon. A chaque tempête elle prenait un ou deux hommes, souvent des ivrognes qui quittaient les remparts de Saint-Malo pour aller lui rendre visite en se croyant invincibles. Des marins ivres, égarés, à qui la mer manquait. Elle prenait aussi les bateaux bien sûr, ceux qui disparaissaient en mer et qu'on ne voyait jamais revenir ; et ce n'était même pas la peine d'essayer de les chercher après la tempête, car nous les savions déjà morts. Il n'y avait pour eux aucun espoir.

À midi, la maman d'Harry a frappé à ma porte. J'étais occupé à compter mes provisions dans les placards pour jauger du besoin, ou non, d'aller chercher des vivres au cas où la tempête m'empêcherait de sortir pendant quelques jours. C'était la première fois depuis une éternité qu'elle franchissait mon jardin, et dans ses yeux, il y avait toute la détresse du monde. Il m'a semblé qu'elle mettait en moi tous ses espoirs pour l'aider ; et je crois qu'elle savait, au fond, que son fils m'aimait et que je l'aimais en retour. Les mères sentent toutes ces choses-là.

« Est-ce que tu aurais vu Harry ? », elle a demandé en essayant de parler doucement pour ne pas trop m'inquiéter. Pour se convaincre elle-même qu'il n'y avait aucune raison d'avoir peur. Mais elle a vu mon visage se décomposer, et ses mains se sont mises à trembler.

« Je pensais qu'il était avec toi. », elle a repris alors. « Il est parti ce matin très tôt pour aller à la mer, je voudrais qu'il rentre. La marée est montée jusqu'à la digue, il n'est pas là-bas. Je ne sais pas où il est. »

Il y avait beaucoup d'informations, et je suis resté quelques secondes silencieux pour toutes les assimiler. Puis j'ai hoché la tête. Je n'avais pas envie qu'elle ait peur. Je ne voulais pas qu'elle sente la détresse, la peur, le coup de poing invisible que je venais de recevoir dans le bas du ventre comme si l'on venait de me frapper. Je l'ai faite entrer chez moi, et je lui ai offert une tasse de café noir pour qu'elle se réchauffe. Je lui ai promis de lui ramener Harry dans l'après-midi, et dans ma voix, il y avait plein de confiance et d'affirmation. À l'intérieur pourtant je n'en menais pas large – et quand je suis sorti de la maison, j'ai observé un long moment les cabanes des oiseaux. Elles étaient détruites. La plupart d'entre elles s'étaient brisées avec le vent, la peinture avait délavé, le bois s'était cassé ; il n'en restait que des vestiges, et le jardin était devenu aussi triste qu'un cimetière.

J'étais sur mon vélo cinq minutes plus tard en direction de la mer – j'avais du mal à pédaler à cause du vent que je recevais de face, mais je sentais l'urgence de le retrouver. C'était quelque chose à l'intérieur, très fort, très important ; mon coquillage cognait furieusement autour de mon cou et mon cœur battait à tout rompre comme un tambour. Harry n'était pas parti la veille, il était parti le matin. Il avait tenu parole aussi longtemps qu'il avait pu le faire et je savais déjà comment les choses s'étaient passées : il n'avait pas dû fermer l'œil une seule seconde, attendant que le jour se lève pour pouvoir sortir. Je l'imaginais dehors aux premiers rayons de l'aube, appelé par le chant de la mer, furieusement impatient de la rejoindre. J'avais cette image de lui dévalant le chemin de graviers pieds nus en courant jusqu'à atteindre l'océan, au moment où le ciel n'était pas encore tout à fait bleu.

Même les étoiles meurent en silence. (Larry.)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant