Chapitre 15.

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Les jours de décembre se sont succédé les uns après les autres, et il n'y a rien que je puisse dire dessus en particulier, sinon qu'il était toujours doux de rejoindre la plage le soir en compagnie d'Harry. Après l'épisode de l'altercation avec l'ivrogne qui se prenait pour un chasseur, nous n'avons plus évoqué l'idée de se quitter. On ne voulait même plus en parler. Désormais, on partait ensemble à dix-huit heures, et c'était toujours en se tenant la main. Quand on rentrait le soir, c'était aussi les mains liées, peut-être parce que ça nous donnait l'impression d'être invincibles. On ne risquait pas grand-chose, loin du village et des autres, à l'abri des mauvaises langues et des regards curieux. Je fuyais la ville intra-muros comme la peste et lorsque je descendais vendre mes œufs de poule, mon lait de vache et mon fromage – car il fallait bien gagner son pain –, c'était la tête basse et sans parler à personne. Il n'y avait pas de rumeurs pourtant, car personne ne savait. Nous nous étions fortifiés une muraille invisible pour nous extirper du monde, tout ça avec la complicité des étoiles et de la Lune qui à la nuit tombée nous cachaient en leur sein. Nous ne craignions rien.

Parfois, on ne parlait pas du tout. On passait des heures sur la plage en silence, mais c'était beau quand même parce qu'on était ensemble. Je repensais au temps d'avant et je me disais que finalement, je n'avais plus rien à regretter. Au moins, maintenant, Harry ne se faisait plus battre par son père ni toucher par son professeur. Quand je mettais les choses sur cette perspective, la vie était plus belle, et je n'avais plus envie de retourner en enfance.

Parfois, on échangeait quelques mots sur la plage. Je lui racontais ma lecture de Jules Verne, et il m'écoutait pendant de longues minutes. D'autres fois, nos discussions tournaient autour des constellations qui ornaient le ciel – et souvent, je lui disais d'arrêter de faire l'intéressant.

Je ne fais pas l'intéressant, il disait toujours. Je t'apprends des choses.

Tu fais l'intéressant.

Non.

Bien sûr que si Harry, tu fais l'intéressant, pour me montrer que tu sais mieux que tout le monde que ce sont les planètes qui tournent autour des étoiles, et pas l'inverse.

J'étais encore vexé de la dernière fois.

Nous avons aussi pris des photographies, les soirs où il ne neigeait pas, quand je pouvais emmener l'appareil photo avec moi sans craindre de l'abîmer. Les pages de mon journal se remplissaient de tonnes d'annotation, de souvenirs et d'anecdotes ; et j'avais de moins en moins peur de dormir seul la nuit dans la grande maison.

La journée, il arrivait qu'Harry vienne m'aider à la ferme, surtout quand il ne supportait plus l'homme qui deviendrait en juin prochain son beau-père. Ce n'était pas qu'il était foncièrement méchant, mais il parlait trop, selon Harry. Je ne posais jamais de questions indiscrètes, et je n'insistais pas. Pour lui, la porte serait toujours ouverte, et j'acceptais d'être son refuge puisqu'il était le mien. Ainsi, la ferme s'est embellie en quelques jours à force de travaux et de bricolage. J'ai perdu deux poules qui sont mortes de vieillesse, mais le reste des animaux se portaient bien. J'étais heureux. Je trouvais décembre plus beau que novembre.

À l'approche de Noël, les températures ont chuté. C'est arrivé d'un seul coup. Un jour, quand je me suis réveillé au matin, le poêle avait cristallisé et cassé à cause du froid. Ça avait eu pour effet de me faire tomber malade. Je suis sorti du lit comme j'ai pu, frigorifié, enroulé dans un châle tricoté par ma mère quand j'étais petit. Je suis allé allumer un feu de cheminée qui a mis dix bonnes minutes avant de prendre, puis j'ai regardé le paysage à la fenêtre de la cuisine : dehors, tout était figé. C'était comme si quelqu'un avait suspendu le monde. Il faisait trop froid pour neiger, il n'y avait plus que de la glace, du blanc immaculé et solide sous un ciel bleu métallique. Les oiseaux avaient migré et les petits animaux errants ne montraient pas le bout de leur nez. C'était l'hiver rude et froid des vieilles années, avec des températures qui descendaient largement sous la barre du zéro et qui dissuadaient même les petits enfants des villages de sortir faire des batailles de boule de neige. Par ce temps-là, on ne voulait rien faire d'autre que de rester sous la couverture toute la journée.

Même les étoiles meurent en silence. (Larry.)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant