7. Ruelle.

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Une fois le nez dehors, je vois une petit nuage se former devant moi lorsque je respire. Je frotte mes mains entre-elles avant de les plonger dans les poches duveteuses de ma longue veste brune. Je resserre légèrement mon foulard et abaisse un peu mon cou pour que mes oreilles soient protégées par le bout de tissus. 

Je ne sais pas où aller. Les ruelles me semblent une bonne idée, parfaite pour attirer l'attention d'un meurtrier. Je frisonne à cette pensée. "meurtrier", ce mot ne lui correspond pas.  Pas à lui, pas à celui à qui j'ai parlé lors de cette soirée. Certes il ne m'a pas parlé beaucoup mais j'ai senti un brin de bonheur passer dans ses yeux gris quand je l'ai complimenté sur sa tenue. Ce pauvre garçon ne doit pas vivre de beaux jours pour ce morfondre dans le crime et les menaces. 

Les lumières de la ville sont éteintes. Aucuns lampadaires n'est allumé et seulement quelques maisons sont légèrement éclairées à l'étage. Je sens l'angoisse enfuie dans mon corps s'intensifier peu à peu. Même pour quelqu'un possédant ma carrure, il n'est jamais rassurant de savoir que quelqu'un armé d'une dague est prêt à vous sauter dessus à tout instant.

Les minutes passent, j'ai froid. Est-ce qu'il viendra? 

Je m'engage enfin dans les petites ruelles de la ville après avoir pris une grande inspiration. C'est dans une rue comme ça que, Livai m'a agressé pour la première fois.  Un endroit calme et à l'abris de tout regard témoins. 

Cela fait 40 minutes. Quarante minutes que j'aire, la respiration haletante. Je ne sens plus mes doigts qui sont pourtant bien au chaud dans mes poches. si je ne veux pas finir glacé, il vaut mieux que je rentre, je reviendrais. 

J'arrive au bout de la dernière ruelle. Elle donne sur une des routes secondaires de la ville. Quand je serais arrivé au bout, je n'aurais plus qu'à marcher sur les grandes routes. 

Mais lorsque je m'approche de la fin, je vois une silhouette. Une silhouette d'homme adossée contre le mur étroit de la ruelle. Je ne vois que l'ombre du personnage devant moi.  Une forme fine, pas très grande. Une forme que je reconnais assez bien. 

Un de ses pieds est appuyé contre le mur, il m'attend, les mains dans les poches.  Etonnamment, toute mon angoisse disparait pour laisser place à une légère envie de provocation. Malgré tout, je continue mon chemin, comme si de rien n'était, en laissant sagement mes mains dans mes poches. Les battements de mon cœur augmente de plus en plus à l'approche du bel homme. 

Arrivé à sa hauteur, il pose sa main sur le mur opposé pour me bloquer le passage. Je sens une pointe de couteau, bien aiguisée ma foi, se planter sur le côté de mon cou. Je décide de ne pas réagir.

- "Tu as finit de te la jouer?" dit-il, d'un ton glacial.

J'esquisse un léger sourire que Livai ne remarque pas à cause du foulard qui recouvre le bas de mon visage.

- "Je ne réagis pas à ce qui ne me fait pas peur." dis-je simplement.

Je sens la lame s'enfoncer un peu plus dans ma peau. Mes sourcils se froncent légèrement.

-"Tu n'as pas peur de finir ta vie ici?" dit-il, d'un ton agacé.

-"C'est de toi dont je n'ai pas peur." fais-je en lui lançant un regard en coin.

Il s'approche de mon oreille.

-"Comment ça, tu n'as pas peur de moi?" murmure-t-il.

Je rentre dans son jeu en chuchotant à mon tour. Je remarque les nuages de buée qui se forment à cause de nos respirations si proches. 

-"Je sais que tu as un bon fond, Livai" dis-je.

Je le sens rigoler doucement. Son souffle parvient jusqu'à mon cou et me fait frissonner. 

Enfin, je décide de sortir mes mains de ma veste. D'un geste rapide , je prends son poignet qui tient le dangereux couteau.  Je me retourne en sa direction et le pousse pour que son dos frappe contre le mur. A cause du choc, la lame tombe de la main de Livai. Torse contre torse, je le regarde dans les yeux en baissant légèrement le regard.

-"Au passage, puis-je savoir les raisons pour laquelle je suis menacé?" dis-je.

Quand il me lance un de ses regards noirs, j'ai l'impression qu'il est en train de lire dans mes plus profondes pensées et qu'il aspire mon âme. Il ne répond pas. Il ne peut pourtant rien faire puisque ses mains sont bloquées et qu'il est immobilisé avec mon poids. 

J'essaye de concentrer mon attention sur les yeux de Livai et non pas sur son beau visage juste à côté. Je dois aussi contrôler ma respiration haletante qui s'est brusquement accélérée quand nos deux corps sont rentrés au contact. 

-"Tu as perdu ta langue?" je lui demande.

Un rictus se forme sur son visage.

-"Je pourrais te prouver qu'elle est bien là..." dit-il.

J'écarquille les yeux à l'entente de cette phrase. Bien que je doute qu'il soit sérieux dans son propos, sa phrase est loin de me laisser indifférent. Pendant mon moment de réflexion, il dégaine une petite lame qu'il avait caché au préalable dans sa manche de chemise. Il me la plante dans la paume de ma main qui le retient prisonnier et je me recule en poussant un léger hoquet de douleur. Je m'adosse contre le mur d'en face pour vérifier l'entaille dans ma paume. Elle est profonde, le sang coule. 

J'éponge la blessure avec la manche de ma veste et j'aperçois du coin de l'œil, Livai qui se rapproche de moi, son petit couteau à la main. Il le fait tourner quelques fois entre ses doigts avant de me le pointer au visage. Il pose son torse contre le mien et s'approche du creux de mon oreille.

-"Tu te laisses facilement distraire à ce que je vois." dit-il en chuchotant. 

En reculant sa tête, il passe devant mon foulard et pose sa main dessus afin de l'abaisser légèrement. Il voit l'entaille qu'il m'a faite l'autre jour. Il repose son regard sur le miens.

- "Tu essayes de la cacher? Ne me dis pas que tu n'as pas informer tes gentils parents de ton agression." me dit-il. 

J'évite ses provocations.

-"Tu comptes me tuer bientôt?" dis-je.

Il souffle du nez, comme pour rire de la situation. Il s'approche très près de mon visage et je sens souffle.

-"Tu as au moins raison sur un point" dit-il, en me regardant dans les yeux.

Tout en essayant de calmer les battements de mon cœur, je hausse un sourcil pour le questionner du regard. Sans que je m'y attende, il passe une de ses mains sous ma chemise et caresse mes abdominaux. Je ne peux empêcher de laisser sortir un hoquet de surprise. Je sens le rouge me monter aux joues et j'essaye d'arrêter Livai.

-"Livai, qu'est ce que tu-" dis-je.

Il s'approche de mon oreille.

-"Si je ne veux pas tuer, c'est surement pour la même raison que toi, tu ne veux pas me dénoncer à tes parents." dit-il en murmurant d'une voix rauque. 

Il retire sa main baladeuse et se recule de moi. J'essaye de reprendre un souffle régulier. 

Je le vois partir dans la sombre ruelle et je ne peux m'empêcher de le rattraper en empoignant son poignet.

-"Rejoignons-nous ici, dans deux jours." dis-je.

Je n'ai pas de réponse. Juste son regard plongé dans le miens, encore voilé d'envie et de provocation. Il se retourne et je distingue un léger sourire se former sur ses lèvres avant qu'il ne disparaisse dans les rues sombres et silencieuses de la ville.


Destins éloignés [Eruri] (TERMINÉ)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant