Chapitre 11- Le dernier soir ADAM

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Mon besoin de contrôle a exigé que je relise les livres dont je devrais parler demain durant l'atelier écriture et lecture. Je termine d'épingler les dernière notes dans celui que j'ai eu un mal fou à relire et m'étire sur ma chaise de bureau. C'est terrible car je n'avais pas osé relire Manon Lescault depuis mes années de fac. Qu'est-ce que j'ai pu haïr ce bouquin. Pourtant, quand je l'ai découvert à l'époque, je n'écrivais pas encore. Je n'étais qu'un pauvre petit étudiant de rien du tout, binoclard et peu sûr de lui. Je ne connaissais rien aux femmes et encore moins à l'amour et le chevalier Des Grieux a détruit l'idée que je m'en faisais. Je ne le voyais comme un pauvre type se laissant mener par le bout du nez par une nana capricieuse et manipulatrice. Au final, Des Grieux renonçait à sa vie par amour. J'ai longtemps gardé en rancune l'écrivain de cette histoire, L'abbé Prévost. Ce n'est que lorsque je suis moi-même devenu écrivain que je lui ai « pardonné ». J'ai compris qu'il était très difficile, voire impossible de dépeindre l'histoire d'amour parfaite. Comment est-ce possible puisque l'amour en lui-même est imparfait. En le relisant, je pense honnêtement que mon aversion pour ce roman n'était pas fondée. Le lecteur naïf que j'étais a changé. Je suis un mécanicien de l'amour et en connais les moindres rouages. J'en suis certain : l'histoire d'amour parfaite, si on la veut réaliste, est forcément pleine d'imperfection.

— Alors ? T'as fini ?

J.J passe la tête dans l'embrasure de la porte. Son intrusion dans mon bureau dans lequel je suis enfermé depuis au moins trois heures s'accompagne d'une odeur délicieuse. Ma sœur jumelle a passé son après-midi devant les fourneaux. Les grandes vacances sont arrivées et c'est avec moi que J.J planque sa solitude de « jeune vieille fille » comme elle aime se surnommer. Ses meilleures amies instit' sont toutes mariées, maquées et mère de famille. De plus, c'est aux quatre coins de la Terre ou du pays qu'elles ont choisi de passer leurs congés d'été. C'est pour cela que tous les jours, ma jumelle trouve tous les prétextes pour passer ses journées avec moi. Ça ne me dérange pas le moins du monde mais je l'admets, depuis que je suis inscrit sur Dating la présence de J.J m'empêche de me lancer dans mes longues discussions avec Ysé. C'est demain que nous devons nous rencontrer et je crois que je n'ai jamais eu aussi envie de lui parler. Les chapitres de mon histoire s'amoncellent eux aussi, ce qui enchante grandement mon éditrice.

— Oui, j'ai terminé ! m'étiré-je encore. Mais dis-moi ce que tu m'as préparé et je suis sûr que ça me donnera encore plus envie de me lever.

— Tout ce que tu aimes : quiche lorraine, salade landaise et crème fouettée.

— Tu me gâtes, sœurette ! Tu vois, je suis déjà sur pieds pour aller déguster tout ça !

Je joins le geste à la parole et pars pincer la joue de J.J qui me repousse, comme elle le fait depuis qu'on est tout petits. Je la précède et en pénétrant la cuisine, je découvre la table mise. Deux assiettes, de verres et deux paires de couverts y trônent.

— Je vois que le repas n'est prévu que pour deux...

— Oui, fait J.J en prenant place. On est deux, non ?

— Euh...oui mais...euh...je sais que Margot est dans sa chambre.

— Et alors ? continue J.J en découpant la quiche avec énergie. Si elle est là, c'est juste parce que tu es trop sympa. Qu'on soit bien clair : elle et toi, ce n'est plus que de la collocation. Je n'ai jamais aimé cette fille et maintenant que vous n'êtes plus ensemble, je ne vois pas pourquoi je ferai des lanières. Si elle a faim, elle se commandera un Deliveroo. Ils livrent bien chez vous, non ?

Je soupire en m'asseyant, guettant avec une certaine anxiété la porte de la chambre de Margot. Contrairement à J.J, je suis bourré de principes. Ma politesse et ma bienséance m'empêchent de me conduire comme ma sœur aimerait que je le fasse. C'est la raison pour laquelle je finis par me relever pour aller chercher des couverts au moment même où Margot choisit de sortir de sa tanière.

J'ai juste cliqué Où les histoires vivent. Découvrez maintenant