Chapitre 4 : Infusion de Minuit

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Quelques bougies me tiennent compagnie autour du réchaud. J'ai mis une casserole d'eau à frémir. Ma main traverse le nuage de buée vaporeuse et en apprécie la chaleur. Ça va bientôt être prêt.

Mon regard se perd dans la monotonie du carrelage mural. Avachi contre le buffet, je m'emmitoufle dans la léthargie fébrile d'un début de nuit. Cette sortie sur la côte m'a rendu nostalgique. J'avais l'habitude, les années précédentes, de partager mes excursions estivales avec mes deux meilleurs amis. Malheureusement, cet été, des obligations les retiennent et ils sont moins disponibles. Nous arrivons bien à nous retrouver le temps d'une soirée par-ci par-là, mais ce n'est plus comme avant. Le souvenir de nos dernières retrouvailles durant une nuit festive parvint à me décrocher un sourire et mon ventre se noue d'émotion. J'ai si hâte de les revoir.

Est-ce que grandir signifie que nos responsabilités nous éloignent de plus en plus de ceux qui comptent ? Cette pensée me déprime.

Je tire à moi la théière ainsi qu'un petit pot en céramique : notre réserve d'écaille de sirène. J'en dépose deux cuillères dans le filtre. Les feuilles séchées craquent et s'effritent. Leur odeur puissante de réglisse m'envahit le nez. Je verse l'eau par-dessus et la vapeur vient cajoler mon visage. Je referme aussitôt le couvercle pour ne pas laisser les arômes s'échapper.

— Maman va dormir, chuchote Marte que je n'avais pas entendu arriver. Elle a dit de pas faire de bruit.

Je hoche la tête. Elle porte sa longue chemise de nuit blanche et ses cheveux sont relevés en chignon sur son crâne.

— Tu fais quoi ? murmure-t-elle en se hissant sur la pointe des pieds.

— Une infusion d'écaille de sirène.

— Trop bien !

— Tu peux sortir trois tasses, s'il te plaît ?

Elle va jusqu'au placard et fait dodeliner sa tête comme si elle suivait le rythme d'une musique qu'elle seule pouvait entendre.

— C'était drôlement chouette cette après-midi, m'avoue-t-elle alors qu'elle me rapporte ce que je lui ai demandé.

— Mouais, je marmonne.

— Driss est vachement sympa. Il m'a appris à faire la planche dans l'eau. T'as vu ?

— Hum...

— T'as vu ou pas ? insiste-t-elle.

— Oui, je m'exaspère.

Les écailles ont assez infusé. Je récupère le filtre en essayant de ne pas trop me brûler les doigts et le laisse dans l'évier, encore rempli des feuilles à présent toutes ramollies.

— Il est pas aussi nul que je pensais, j'admets. Mais ça reste un mec de la ville.

— Bah moi je suis contente qu'il soit là. Non, parce que je vais pas revoir mes copines avant la rentrée...

— Ah donc il est juste là pour remplacer tes copines ? je lui demande, taquin.

— Nan ! C'est pas ce que j'ai dit. Je suis contente qu'il soit pas vieux et puisse jouer avec nous. Sinon je m'ennuie et toi, tu veux jamais rien faire...

— Bah tiens !

— En plus toi aussi tu l'aimes bien un peu, sinon tu lui ferais pas d'infusion.

Je lève les yeux au ciel. Elle raconte vraiment n'importe quoi ! Je voulais m'en faire ce soir de toute façon. Ce n'est que pure politesse d'aussi servir les autres. Et puis, il doit bien être un peu curieux de connaître le résultat de nos efforts de ce matin. Je suis sûr qu'il n'en a jamais bu correctement préparée.

Des écailles de sirène dans la poche [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant