Chapitre 5 : Un parfum de confidence

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Cela fait une semaine que les jours s'enchaînent et se ressemblent. Chaque matin, je rabats ma couette en grognant et m'extirpe difficilement de mon lit. Je surprends alors par la fenêtre Driss dans le jardin toujours aussi assidu à son entraînement matinal. Puis, nous partons tous les trois à la cueillette pour revenir en début d'après-midi, nos paniers lourds d'écailles de sirène.

Nous passons ensuite le reste de la journée, quand maman n'a pas besoin d'aide, à flâner dans le jardin, à explorer la forêt, nous éclabousser dans le ruisseau ou rejoindre les falaises à vélo. Parfois, nous faisons juste d'interminables siestes pendant lesquelles le soleil nous mord la peau.

Marte ne lâche plus ses fusains. Elle tient à dessiner tout ce que l'on fait, pour pouvoir raconter nos aventures à papa quand il sera de retour, qu'elle dit.

On a reçu une lettre de sa part ce midi. Il nous informait que lui et notre tante étaient bien arrivés en ville et qu'on prenait grand soin d'elle à la clinique. Nous lui manquions beaucoup. Il avait hâte de revenir nous voir.

A moi aussi, il me manque. J'essaie de rassurer ma sœur en lui montrant à quel point les journées passent vite quand on trouve à s'occuper. Ça ne l'empêche pas de compter les jours. On n'a pas l'habitude d'être séparés aussi longtemps.

Pour lui changer les idées, j'ai accepté qu'on retourne se baigner vers la grotte. Un petit plongeon dans l'eau fraîche de la mer était tout ce dont nous avions besoin. Le vent est léger aujourd'hui, comme une caresse. Debout, face à l'horizon, l'écume vient me lécher le ventre. Je voudrais fermer les yeux. Mais quand je suis avec Marte, je ne suis jamais vraiment tranquille. Elle est si téméraire qu'elle ne se méfie pas de la force des vagues. Souvent, je dois lui ordonner de revenir vers la côte, de rester proche de moi. Heureusement, Driss semble m'aider à veiller sur elle. Il ne l'encourage pas à tenter de choses dangereuses et n'est jamais loin d'elle quand nous nous baignons. Il lui apprend à perfectionner ses techniques de nage. Elle est ravie.

Je crois que je commence à ne plus voir d'un mauvais œil l'arrivée de Driss. Je m'en accommode. Je le tolère. Il n'est pas si désagréable maintenant qu'on a pris le temps de faire connaissance. Mais je me tiens à distance. Sa proximité déclenche chez moi des sensations étranges. Je ne parviens pas à mettre le doigt sur ce qui me tracasse.

Après notre bain, nous décidons de prendre un moment pour sécher avant de reprendre nos vélos. Nous trouvons ce petit pré en haut de la falaise qui abrite quelques moutons. Il y pousse une multitude d'herbes sauvages. Nous bravons l'interdit des barbelés pour y installer notre serviette. Ma sœur déverse dessus le tas de galets amassés plus tôt dans le bas de sa robe qu'elle a repliée en poche. Je rouspète et l'aide à former un petit tas dans un coin.

Ces galets, ils me rappellent celui sur ma table de chevet. Ma meilleure amie Gwenaëlle me l'a offert juste avant les vacances. Elle y a peint les initiales de notre inséparable trio pour que je pense un peu à eux cet été. Il y a donc un G pour elle, un C pour moi et un A pour Amaël. Je me revois il y a de cela deux semaines enchaîner les verres à l'auberge avec lui avant qu'il nous entraîne sur la grande place pour danser. Il était étrange ce soir-là. Il n'arrêtait pas de me confier à quel point j'étais important pour lui et de me serrer dans ses bras. Ça devrait être l'alcool qui le rendait si affectueux. Et puis cette promiscuité entre nous m'a plu. C'est une bonne chose que l'on soit plus proche nan ? J'ai si peur que le temps effrite notre amitié. Ça me détruirait de les perdre.

Je m'allonge sur le ventre le plus proche du bord pour être à distance raisonnable de Driss qui choisit de rester assis, le regard tourné vers la plage en contrebas. Marte est partie poursuivre un pauvre petit agneau dont elle veut faire le portrait. L'animal ne se laisse pas faire. J'entends ma sœur lui rouspéter après. Je souris et pose ma tête sur mes bras en croix. Les rayons du soleil me réchauffent le dos. J'entends, un peu lointain, le bruit des vagues qui se heurtent contre les falaises, mélangé aux bêlements discrets des moutons. La brise me rapporte quelques fragrances florales. Il y a du romarin qui pousse autour de nous. Je le sens. J'en repère un plan à portée de main et en froisse quelques longues et fines feuilles qui libèrent leur puissant parfum camphré. Il emplit tout l'air. Me monte à la tête.

Des écailles de sirène dans la poche [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant