Chapitre 14 : Préférer la macération

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Concentré, ma langue sort d'entre mes lèvres alors que j'oriente le marteau. Maman m'a missionné pour réparer la clôture devant la maison. J'essaie de ne pas m'écraser les doigts. Déjà vingt minutes que je m'acharne. Je n'ai vraiment pas le coup de main et ça commence à m'énerver. J'abats le marteau avec force. Il dérape et je ferme les yeux par réflexe. Quand je les rouvre, je découvre le clou tordu qui s'est à peine enfoncé dans le bois. Je jure et laisse tomber mon outil au sol. J'abandonne.

En plus, Driss n'a même pas daigné me tenir compagnie. Il m'évite depuis hier. Evidemment, il a remarqué mon escapade en solitaire et pire, il a vu que j'étais blessé. J'ai eu beau lui affirmer avec conviction que mes genoux éraflés n'étaient dû qu'à une mauvaise chute, il ne m'a pas cru. Depuis l'incident de la plage, il ne me lâche plus des yeux. Je crois qu'il s'inquiète pour moi. Mais franchement, il en fait des caisses. Je n'aime pas l'idée que son regard sur moi ait changé. Je ne suis pas un petit oisillon qui aurait trébuché du nid. Je n'ai besoin de personne pour panser mes blessures.

En tout cas, il a senti que le sujet me crispait puisqu'il a pris ses distances. Sans doute pensait-il que j'avais besoin d'espace. La vérité, c'est que j'ai fini par m'habituer à sa présence et que l'après-midi s'annonce bien morne sans personne à mes côtés.

Comme si le destin m'avait écouté, j'entends les freins d'un vélo grincer. Je relève la tête et aperçois Gwenaëlle qui pédale en ma direction. Sa longue jupe fouette dans le vent. Elle me fait de grands signes de la main. Je vais à sa rencontre.

Toute sourire, elle s'arrête en arrivant à ma hauteur. C'est communicatif car je sens mes lèvres s'étirer aussi. Elle descend élégamment de sa bicyclette. Je ne sais pas comment elle fait pour ne pas prendre le tissu fluide de sa jupe dans ses roues. Elle se penche pour me faire la bise. Sa longue natte bascule sur son épaule gauche.

— Qu'est-ce que tu fais là ? je lui demande.

— Oh bah dis le tout de suite si tu n'es pas content de me voir, plaisante-t-elle. Je voulais te rendre une petite visite. J'ai pas le droit ?

Elle fait la moue et je rigole.

— En plus j'ai des infos croustillantes !

Elle me lance un regard entendu. Je secoue la tête en souriant et lui fait signe d'entrer. On se dirige vers l'arrière du jardin.

— Bon il est où ton joli cœur de la ville ? me questionne Gwenaëlle tandis qu'elle scrute les alentours.

Je lève les yeux au ciel. Qu'est-ce qu'elle raconte encore !

Driss apparaît justement à ce moment-là. Il sort par la petite porte vitrée de la cuisine les bras chargés d'un plateau. Une bouteille de jus de pomme repos et des verres y reposent.

— Bonjour Gwenaëlle, la salut-il. Corentine m'a donné ça pour nous.

Mon amie acquiesce et fait signe à ma mère qui lui répond de derrière la fenêtre. Elle a dû la voir arriver par le sentier qui longe la maison et anticiper de nous préparer ce goûter.

Driss me lance un petit sourire, penaud. Je lui réponds avec tout autant de réserve.

On s'installe donc tous les trois à l'ombre du chêne autour de la table de jardin. Gwenaëlle dispose un verre en face de chacun et je verse un peu du liquide ambré dedans.

Mon amie s'empare ensuite de son verre nous lance un regard malicieux par-dessus celui-ci.

Je meurs d'envie de savoir ce qu'elle a à nous dire.

Des écailles de sirène dans la poche [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant