Epilogue « Rose des vents »

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Les mois ont passé par chapelets entiers. Lorsque j'ai atterri à l'aéroport de Heathrow, j'ai pu rejoindre des amis de la London School of Economics : Clair et Keeth. Ils ont été choqués de me voir, mais ils m'ont accueillie chez eux et m'ont aidé à rentrer chez moi. Une fois à la maison, j'ai sauté dans les bras de Nikolaï, de Morgen et de Lone, puis j'ai pleuré, beaucoup, de bonheur et de soulagement, enfoui dans les bras de mon père et de ma mère.

Tous les cinq, ils m'ont protégé des journalistes et autres chasseurs de scandales. Je n'ai jamais raconté à qui que ce soit ce que j'ai traversé durant toutes ces semaines. Mes proches ont évidemment essayé de savoir ce que j'ai vécu, mais j'ai tenu bon et ai à chaque fois refusé, même si j'ai failli craqué plus d'une fois. Mais je ne veux jamais qu'ils sachent. Premièrement, parce que j'ai fait une promesse à Malika. Deuxièmement, car je ne veux pas qu'ils souffrent encore plus après avoir déjà subi ma disparition. Troisièmement, c'est ma façon d'oublier, de laisser tout ceci derrière moi, de passer à autre chose. Toutes ces mésaventures, ces traumatismes, ces rencontres, sont un désert dans ma mémoire, une parenthèse dans mon existence. Aujourd'hui, je me reconstruis, je reprends le cours de ma vie... Même si ce n'est pas toujours un long fleuve tranquille...

La porte de mon bureau s'ouvre, Katia entre pour déposer un dossier sur la pile me faisant déjà penser au « plafond de l'Europe » et s'en va avec un sourire désolée pour ma journée à rallonge...

Je soupire, mais me ressaisit en serrant le poing face à cette charge de travail. C'est pour cela que je me suis préparée toute ma vie ! Courage !

Quelques mois après être rentré à la maison, j'ai signalé à mon père que je souhaitais l'assister dans l'entreprise familiale, je j'étais prête à apprendre auprès de lui, sur le terrain, dans le vif du sujet. C'est peu après cela que j'ai décidé de prendre une secrétaire : Katia. La jeune-femme, un peu plus âgée que moi, est brillante, ponctuelle, sérieuse et est même drôle. J'ai découvert cette dernière qualité à force de prendre le café à la pose avec elle. Je ne pouvais décidément pas espérer mieux comme aide au quotidien dans mon travail. Mais le mieux du mieux, c'est que Katia est capable de remballer Nikolaï sans être terrorisé à l'idée d'en prendre pour son grade, comme moi lorsque je l'ai rencontré en primaire, et elle le renvoie chez lui lorsque je n'ai pas le temps pour ses badineries parce que je nage entre les courants de dossiers, de rendez-vous et les heures de sommeil à rattraper.

Enfin, ça, c'était surtout au début. Maintenant, je suis mieux organisée. Je gère. Je peux à nouveau faire des balades à cheval avec Nikolaï et mon père, pratiquer le piano avec Morgen, l'escrime avec Lone, courir les antiquaires avec ma mère. Je sourie. Ma vie a retrouvé sa stabilité.

Avec le dossier, Katia m'a apporté un magazine. L'un de ces magazine internationaux auquel je me suis inscrite à la London School of Economics, histoire d'ouvrir mes horizons et ma culture générale sur ce qui se passe partout dans le monde. Curieuse, je décide de m'accorder une courte pose, le temps de parcourir quelques reportages en diagonal. Au tournant d'une page remplie de photos, de textes en police « Times New Romance » et de graphiques, mes yeux restent glués sur un titre.

― « Osabie : un destin tragique pour un dirigeant et une bien jeune reine sur le trône », lis-je à voix basse.

L'article explique que le sultan Kail Azuléan se serait suicidé. Sa petite-soeur, Malika Azuléan, de neuf ans sa cadette, lui a succédé sur le trône, bien qu'elle ne fut pas du tout destinée à cela. La jeune reine s'est mariée avec l'ex-conseiller de feu le sultan Kail, Adil, de douze ans son aîné. Cela semble choquer quelque peu le reporter, mais moi, je comprends son choix. Malika est encore toute jeune, alors qu'Adil, grâce à sa position de conseiller, a déjà de l'expérience et un certain poids dans la balance du pouvoir. Bref, tout pour l'aider à assurer la stabilité du pays après un changement aussi brusque de dirigeant. Même si cela a dû être un choix très difficile pour une jeune-femme qui rêvait de rencontrer l'amour, je crois que Malika à fait un bon choix, une choix censé et fidèle.

Je laisse le journal tomber sur mon bureau en chêne massif. Cette nouvelle m'a prise au dépourvue.

Bon sang...
Kail mort,
suicidé...
Est-ce parce que je suis partie ?

Je secoue vigoureusement la tête.

Non.
Non. Non. Non ! 

Ce n'est pas de ma faute, rien de tout cela ne l'est. Je n'ai rien demandé à personne. Il a agit seul, après des mois, à des milliers de kilomètres de moi. Il est hors de question que je me tortur plus que de raison et que je me sente coupable des choix d'un autre, qui n'a rien à voir avec moi.

Par contre, il y a une chose que je peux faire. Pour Malika, cette fois-ci. J'attrape un papier à enveloppe et un stylo plume. J'exprime toutes mes condoléances à la jeune-femme que j'appelle « mon amie ». Je lui explique que je suis de tout cœur avec elle, malgré la distance et que j'ai tenu parole en me taisant. Je lui écris aussi que, si un jour elle a besoin d'un quelconque soutien, qu'importe pour quoi, elle pourra compter sur moi. Je lui en fais la promesse. Je signe, plie soigneusement la lettre en trois tiers égaux et la place dans une enveloppe beige avant de la sceller avec de la cire rouge et d'y apposer le sceau de ma famille.

Quelqu'un toque à nouveau à ma porte.

― Entrez ! m'exclamé-je en me dépêchant de mettre un peu d'ordre sur mon bureau avant de partir.

Je me doute de l'identité de cette personne. La porte s'ouvrant dévoile un bel homme à l'allure fière.

― Tu es prête Mette ?
― Trois secondes, et je suis à toi, promis-je en attrapant mon sac et mon manteau.

Je cherche mes gants, sans succès.

― C'est cela que tu cherches, peut-être ? me demande-t-il.
― Oh ? Oui ! Merci Harald.

Il prend mon manteau entre mes mains et m'aide également à l'enfiler. Harald est toujours plein de petites attentions, discrètes, auxquelles beaucoup de gens ne prennent même pas gard, mais à mes yeux, elles font toutes la différence. Elles sont bien plus puissantes que des belles phrases et que des cadeaux au prix exorbitant. Ça, de toute façon, je peux me le payer moi-même.

― Allons-y avant que le restaurant ne ferme, ma taquine-t-il en regardant sa montre à gousset.
― Au pire, si nous loupons l'heure, nous irons manger une gaufre sur les rives du Limfjord ! la taquiné-je en ébouriffant ses cheveux blond toujours en bataille malgré ses toujours nombreuses tentatives matinales.
― Il n'y a vraiment qu'avec toi que la perspective d'aller me les cailler sur un port en plein mois de Février est alléchante, s'amuse-t-il en passant sa main à ma taille.

Je hoche la tête en souriant.

Honning, fais-moi juste penser à poster cette enveloppe, s'il-te-plaît, lui demandé-je en montrant l'enveloppe beige entre mes doigts. C'est important.
― Bien-sûr min kære, promet Harald en déposant ses lèvres douces sur les miennes.

Voici sa « promesse éclair », comme j'aime l'appeler. Cela fait partie de ces « petites attentions discrètes » : un rapide baiser sur mes lèvres, sur ma joue, sur mon front pour rester discret mais me montre qu'il est toujours là ; un clin d'oeil pour me dire que lui a compris ma blague même si ce n'est pas le cas du reste de la société ; toujours penser à remplir la bouteil d'eau dans le frigo parce que je déteste ne pas avoir d'eau fraîche ; vérifier s'il me reste des friandises à donner aux chevaux dans le placard... Bref, des petites « rien » qui font « tout », comme disait grand-mère Ida.

En descendant les escaliers, nous continuons à rire en débattant de la meilleure recette de gaufre et de la pire place d'un restaurant. Nous allons peut-être réellement dédaigner cette place cinq étoiles pour une gaufre refroidie par le vent soufflant sur le Limfjord, finalement ?


Ende.

La Rose Des SablesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant