Double

Chapitre 4

Arthur s'est éloigné. Il semble réfléchir dans un coin de la pièce. Je ne peux voir que son dos. J'essaye d'étendre les morceaux de scotch qui me tiennent attachés à la chaise en bois. Ça commence à me couper et à faire saigner ma peau. J'ai mal partout et j'ai faim. Ça doit faire au moins cinq ou six heures qu'on est ici.

«Hey, Arthur ? S'il te plaît ?»

Il se gratte l'arrière de la tête et se tourne vers moi.

«Quoi ?

— Je... Humm. Comment t'as su ? Pour ce que j'ai fait...»

Il s'approche de la table, ou plutôt de la planche montée sur des tréteaux et fouille frénétiquement parmi tout le bazar et les détritus. Je ne peux pas voir exactement ce qu'il fait mais on dirait qu'il ouvre un dossier et le feuillette. Il en tire deux photos, imprimées au format 4A, comme des pièces à conviction d'un dossier de police... Il se retourne, l'air déçu.

«J'ai su comme ça...»

Il place l'une des photos sur mes genoux. Le peu de lumière me permet de distinguer ce qu'elle montre. Un cadavre. Un homme, assez vieux. Il est allongé au milieu de sacs poubelles éventrés.

«Tu ne le reconnais peut-être pas ? ironise-t-il.

— Si, lui répondis-je après un temps de réflexion.

— Denis Bler. Le procès qu'on a perdu l'an dernier. On défendais sa femme. Son corps a été retrouvé dans une décharge. C'est presque passé inaperçu. T'as presque réussi ton coup tu vois ! Il a bien failli être incinéré au milieu des poubelles de la ville hein. Mais l'incinérateur s'est bloqué. Le technicien est allé voir ce qu'il se passait et Ô surprise, il est tombé sur un corps. La police nous a fait parvenir le dossier, par courtoisie, par rapport au procès et c'est moi qui l'ai reçu. J'ai jeté un coup d'œil, jusqu'à cette photo.»

Il me pose la deuxième photo sur les genoux. Je le regarde dans les yeux, le suppliant de me pardonner mais il continue.

«Tu vois là, dit-il en pointant un reflet sur l'image. C'est un bijoux. La police n'a même pas dû se rendre compte qu'il était là. Une simple coïncidence. Dans une déchetterie, après tout... Dommage pour toi, moi je l'ai reconnu.»

Je n'ai toujours pas digéré notre dernier échec... La justice laisse filer un violeur et apparemment, ça ne pose problème à personne.

Sauf que c'est pas possible. Quelqu'un doit faire quelque chose. Il ne peut pas rester impuni !

J'ai appris par sa femme qu'il vit maintenant seul. Elle me fournit volontiers son adresse et je décide d'aller lui rendre visite.

Dans la portière de ma voiture, j'entends mon arme se balancer à chaque virage. Une petite arme de poing, noire, petit calibre, discrète. Mes mains sont tremblantes... Je tiens à peine le volant. J'ai peur. Plus de ce dont je suis capable que de ce dont il est capable.

J'arrête ma voiture dans la rue, il est tard et il fait nuit. C'est une vieille maison, pas accueillante, tout comme le quartier, plutôt désert. Une maison démolie, deux en vente... Je reste un moment derrière le volant à peser le pour et le contre. Ça peut déraper à tout moment. je suis en équilibre sur un fil fragile. Je pourrais encore faire demi-tour, rentrer chez moi, me coucher avec mon mari. Mais ça ne me ressemble pas. Ça ne me ressemble plus. Depuis bien longtemps. J'inspire profondément et j'y vais.

Je glisse l'arme à l'arrière de mon jean et avance vers sa porte. Je sens ma main trembler alors je serre fort mon poing pour me calmer. J'aimerais être sûre de parvenir à régler les choses calmement. Réussir à le pousser à se rendre. Faire preuve de diplomatie. Je sais que je peux y arriver.