Double

Chapitre 11

«Je sais pas depuis combien de temps tu joues au super-héros. Mais ça ne date pas d'hier, je me trompe ?

— Non, acquiescé-je.

— Ce gars-là par exemple. C'était quand ? Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ? m'interroge-t-il en me tendant une coupure de journal, annotée, surlignée. Je la reconnais immédiatement.

— T'as trouvé ça où ? m'exclamé-je.

— Dans ton bureau, me dévoile-t-il, presque l'air coupable.

— T'as fouillé ?

— J'avais pas le choix. Quand j'ai commencé à avoir des doutes, j'ai cherché des indices comme j'ai pu. Et puis j'ai pas à me justifier après ce que toi tu as fait. J'ai eu raison de le faire.

— Tu dois comprendre qu'ils ont tous leur histoire Arthur... Pour chacun c'était différent.

— Et pas une fois t'es tombée sur plus fort que toi ? Enfin je veux dire, tu t'en es prise à bien plus fort que toi. Et pas qu'une fois...»

Je déglutis difficilement sans le regarder. Pourtant, lui semble avoir envie d'insister. Il veut à tout prix savoir. À croire que maintenant, ça l'intéresse. Ça le touche, ce qui a pu m'arriver.

«Laura ? À aucun moment ça n'a manqué de tourner au vinaigre ? À aucun moment quelqu'un à pris le dessus sur toi ?

— C'est pas si simple Arthur, soupiré-je.

— Alors explique-moi ! Je t'écoute!

— Comme tu peux le voir, je faisais mes devoirs. Je ne partais pas tête baissée. Mais les imprévus, ça arrive...»

Les murs beiges de mon bureau vont finir par me rendre malade à force de travailler enfermée ici. Même la grande baie vitrée qui offre une vue privilégiée sur le toit de la ville ne suffit plus à m'apporter la liberté dont j'ai besoin. Pourtant j'aurais pu rentrer chez moi plusieurs heures plus tôt. Mais ici, je suis tranquille pour faire mes recherches. Pas de mari curieux ni d'enfant perturbateur. Je me sens coupable de parler de mes fillettes ainsi. Mais j'aurais pas aimé qu'elles me trouvent en train d'imaginer un moyen de mettre hors d'état de nuire un tueur.

Les yeux rivés sur cette brochure de journal, je planche sur cet article comme un étudiant plancherait sur le sujet d'un concours décisif, en commençant par recueillir le maximum de faits. Comme si j'analysais attentivement un énoncé. J'épuise mon stabilo. Rapidement, je repère une identité. En quelques clics sur les réseaux, j'obtiens également une information capitale sur la localisation de ma victime. Je sens en moi la candidate à un examen qui rassemble ses connaissances pour tirer une réponse solide pour répondre au problème posé. J'aligne les bribes de renseignements que j'ai pu retenir.

Ma solution se dessine progressivement. J'arrive à une stratégie bien ficelée. Aucune place pour le hasard, je traque la moindre variable susceptible de me faire échouer.

Deux semaines après avoir entamé mes recherches, j'estime que mon plan a suffisamment mijoté, alors je passe à l'action.

À travers la vitre d'un bar, je l'observe attentivement. Il est accoudé au comptoir depuis le milieu de l'après-midi. L'alcool descend au fond de sa gorge dans un puit sans fond. Plusieurs grammes d'alcool doivent déjà flotter dans son sang.

Seule sous la nuit qui tombe, je repense au témoignage des familles des victimes dans l'article consacré à ce chauffeur ivre, qui a pris la vie de trois personnes, complètement bourré au volant de son véhicule. Emprisonné pour conduite en état d'ébriété et homicide involontaire, il vient de sortir de prison. Les familles sont dans l'incompréhension. Il leur a pris un fils, un père et une sœur. Ils implorent la justice. "Il mérite de mourir lui aussi", admet une jeune femme. Cependant, il est libre ce soir. Et cela depuis plusieurs mois. L'article m'a suffit pour retrouver son profil et de nombreux posts, des selfies de lui-même dans un bar. Toujours le même, toujours les mêmes jours, toujours aux mêmes heures. Je sais pas ce que cet homme pathétique a à noyer dans autant de liqueur, mais mon petit doigt me dit que ce n'est pas sa culpabilité.