Double

Chapitre 14

ATTENTION ce chapitre contient des références à la mort et au suicide.

«J'espère qu'on est d'accord sur un point, tu peux pas continuer comme ça.

— Je sais bien. Ça fait des années que je me dis ça et y' a rien à faire.

— Tu as déjà pensé à te rendre ? À mettre fin à tout ça ?

— Si, bien sûr. À chaque fois je me disais que c'était la dernière fois. Que je ne recommencerai pas. Et je tombais par hasard sur un article de journal, un site internet. Et c'était reparti pour un tour. Je ne pouvais pas abandonner non plus.

— Juste comme ça ? Un article suffisait à réveiller cette personne au fond de toi ?

— C'était pas l'article, ni même ces personnes en elles-mêmes. Bien souvent, il y avait des interviews des familles des victimes. Des parents, des enfants... Et les journalistes rapportaient leurs paroles. Leurs propres mots. Ils imploraient, suppliaient pour que justice soit rendue. J'ai jamais tué personne dont la mort n'était pas souhaitée.

—Alors quoi ? Tu répondais seulement aux appels de ces personnes ? Tu faisais ça sur commande ?

— J'ai fait ça pour eux, oui, avoué-je.

— Ça veut dire que si je te dis que je pense que tu mérites, toi aussi de mourir pour ce que tu as fait, tu vas te coller une balle ?»

Je le fixe, totalement déstabilisée par ce qu'il me dit.

Depuis que je suis isolée ici, je retourne le problème dans tous les sens. J'ai beau me chercher des raisons, essayer de me justifier, auprès de moi-même. Rien ne vient. Le poids des mots que j'ai pu lire diminue à chaque instant qui passe. La réalité me revient de plus en plus. Mes pieds touchent à nouveau le sol. En même temps, je prends conscience de mon environnement. Encore plus que depuis que je suis là. Je sens des courants d'air particulièrement froids. La chair de poule s'installe sur les épaules, mes bras. Un frison remonte le long de ma colonne.

Je suis prise dans cette tempête depuis trop longtemps, c'est devenu impossible de sortir la tête de l'eau. Un poids m'attire vers le fond. Et je coule. De plus en plus profond, depuis des années et des années.

«Tu sais que la solution pour mettre fin à tout ça, c'est de te rendre à la police ?

— Peut-être.

— Je rigole pas. Pour commencer, ils t'empêcheront de recommencer. Et ensuite, ils pourront t'aider, tente-t-il, sur la réserve.

— M'aider de quoi ? grogné-je sèchement.

— À comprendre pourquoi tu as fait ça ?

— Pourquoi ? Mais t'as toujours pas compris en fait ? Je l'ai fait pour rendre justice à ceux qui ont été oubliés !

— Laura... murmure-t-il, en me regardant, sceptique et navré.

— Quoi ? Ne me regarde pas comme ça. Attends, qu'est-ce que tu crois là ? Que je suis complètement folle, que j'ai perdue la tête ? Je suis à cent pourcent responsable de mes actes Arthur. Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait en pleine possession de mes moyens. Je n'ai zéro excuse, mis à part mon désir de justice.

— T'as perdu pieds et c'est normal avec ce qu'on peut voir dans notre métier. Même dans les actualités de tous les jours. Le monde devient de plus en plus sombre. T'as besoin d'aide.

— Je rêve. T'as rien compris en fait. T'es comme les autres. Tu t'en fous. C'est pas grave si des personnes passent entre les mailles du filet. Pourvu qu'on en reparle jamais et qu'on te fiche la paix avec ça. Tu préfères fermer les yeux plutôt que rendre justice. T'as pas choisi le bon job mon gars. C'est juste une façade, pour te donner bonne conscience. Faut aller au bout des choses.